En Libye, les multiples alertes sur l’état des deux barrages en amont de Derna ont été ignorées
Les habitants de la ville ravagée par la boue suite à la rupture des ouvrages demandent des comptes aux autorités.
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- Publié le 18-09-2023 à 21h27
- Mis à jour le 19-09-2023 à 15h15
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C’est l’un de ces scénarios cousus de fil blanc qui nourrissent tant de films catastrophes : un danger bien identifié, des scientifiques qui sonnent l’alerte et des responsables qui restent sourds aux signaux d’urgence. La catastrophe de Derna, qui a vu céder deux barrages et déferler un mur de boue le 10 septembre sur cette ville côtière de l’est de la Libye, faisant plus de 11 000 morts et pour l’heure à peu près autant de disparus, a suivi exactement cette trame. Les multiples alertes lancées depuis une vingtaine d’années n’ont pas été suffisamment prises en considération.
Les habitants de Derna, choqués par la destruction des barrages d’Abou Mansour (le plus grand avec son lac de retenue de 22,5 millions de mètres cubes) et de Derna (le plus proche de la ville), ont manifesté lundi et appelé à une "enquête rapide" pour pouvoir poursuivre légalement les responsables de la catastrophe. Ils ont aussi demandé la mise en place urgente d’un bureau de soutien de l’Onu dans leur ville ravagée. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a, quant à lui, fait part le même jour de son inquiétude pour deux autres barrages sujets à d’énormes pressions : celui de Jaza Dam, entre Derna et Benghazi (à 200 kilomètres à l’ouest), et celui de Qattara près de Benghazi.
Crues exceptionnelles
Huit jours après la catastrophe, on sait qu’un audit réalisé il y a deux ans par une agence publique avait révélé que les deux barrages détruits n’avaient pas subi la maintenance prévue pour laquelle un budget équivalent à deux millions de dollars avait été alloué en 2012 et 2013. Le pays était alors en pleine guerre civile, suite au renversement du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi, tué fin 2011 dans l’effervescence des printemps arabes. Le chaos politique qui en résulta, les pouvoirs rivaux, les gouvernements successifs, la corruption, la négligence ont contribué à leur détérioration.
Quand l’hydrologue Abdoulwanis Achour a commencé, il y a dix-sept ans, à recueillir des données sur ces deux barrages construits dans les années 1970 par une société yougoslave, ils présentaient déjà des fissures. Et plusieurs rapports alertaient qu’un désastre pouvait survenir dans la vallée de Derna lors d’un épisode de crues exceptionnelles alimentées par des intempéries, fréquentes dans la région. “En cas d’inondation majeure, les conséquences seront désastreuses pour les habitants de la vallée et de la ville”, avait encore prévenu ce professeur de génie civil dans une étude publiée l’année dernière dans le Sabha University Journal of Pure and Applied sciences. Cet épisode s’est déroulé le 10 septembre lorsque la tempête Daniel s’est abattue sur cette ville d’environ cent mille habitants située sur la côte méditerranéenne, à quelque 250 kilomètres de la frontière avec l’Égypte.
En 1986, une grosse tempête avait endommagé les deux édifices et une décennie plus tard, une étude commanditée par le gouvernement libyen avait révélé des fissures et des crevasses dans leurs structures, a déclaré le week-end passé le procureur général de Libye Sadiq al Sour, en charge de l’enquête sur l’effondrement des deux barrages.
Un chantier incluant la maintenance des deux ouvrages et la construction d’un troisième barrage, intermédiaire, avait échu en 2007 à une société turque nommée Ansel. Malgré des informations mentionnées sur le site web de celle-ci, faisant état d’un achèvement des travaux en novembre 2012, aucun autre barrage n’était visible sur des photos satellite récentes…