Le cheptel de l'Afrique, instrument de luttes

Industrialisation, changements climatiques; l'élevage paysan est menacé et à travers lui, la sécurité alimentaire de plus d'un milliard de personne. La société africaine, majoritairement rurale, est maintenue dans la pauvreté et se voit amputée d'une partie de son identité. Que fait l'Europe ?

Valentine Van Vyve
Le cheptel de l'Afrique, instrument de luttes
©vsf

Visage innocent. Regard puissant. Les yeux “tournés vers l'avenir”. Des bovins en guise de trame de fond. Le graffeur français met un point final à sa peinture. Réalisée sur une toile d'environ 4 mètres carrés qui se dresse parmi 10 autres sur la place du Luxembourg, elle met en image une thématique centrale pour Vétérinaires Sans Frontières (VSF), ONG à l'initiative de cette action qui prenait place le 16 septembre dernier: l'élevage paysan et son rôle clé dans la lutte contre les changements climatiques. Pour l'occasion, 11 artistes étaient invités à exprimer ce que cela évoque pour eux. Une manière de sensibiliser les passants et autres curieux venus en nombre éparse jeter un œil à ces peintures.

Les membres de VSF et leurs partenaires venus tout droit du Sénégal et du Niger espéraient aller plus loin dans l'explication des réalités quotidiennes que vivent les éleveurs paysans africains, l'importance des changements climatiques sur leur système d'élevage et les responsabilités des Européens dans les grands changements avec lesquels ils doivent désormais composer.

Le cheptel de l'Afrique concourt à son développement”

Le rôle de l'élevage dans les sociétés et économies africaines est central : au Sahel par exemple, il équivaut à 40% du PIB, alors que 80% de la population de la région vit en milieu rural. “Les petits élevages sont leur source de revenus et de nourriture”, témoigne Barre Amadou, secrétaire exécutif de l'ONG nigérienne Karkara. “La richesse ou la pauvreté se mesurent bien souvent en fonction du patrimoine animal”, précise Katia Roesch, cheffe de projet chez VSF. “Les éleveurs paysans jouent un rôle primordial dans la lutte contre la pauvreté et la malnutrition et en faveur de la sécurité alimentaire. La santé est quant à elle à la base du développement”, renchérit Dienaba Sidibe, Présidente de la direction nationale des femmes en élevages. “Or, ces populations vulnérables sont les premières victimes de la faim”, commente Koen van Troos (VSF).

S'il contribue à la lutte contre la faim, “le bétail fournit un statut social, une identité culturelle” argue encore VSF, soutenu par Barre Amadou : “Leur cheptel et leur mode de vie font l'identité de ces éleveurs, pastoralistes particulièrement, un type d'élevage pratiqué sur 25% des terres mondiales”.

Pourtant, il est menacé “de toutes parts : par les changements climatiques, par des politiques agricoles incohérentes et par la globalisation”, explique Barre Amadou. Les experts pointent particulièrement l'industrialisation de l'agro-élevage. Système de production du nord, il participe au réchauffement climatique dont les pays du sud sont les premières victimes, les exposant au risque élevé de précarité et de destruction de la cellule familiale.

Sécheresses fréquentes, inondations, diminution de la superficie et de la qualité des herbages,... les éleveurs paysans, pastoraux ou sédentaires, dépendants du climat, doivent en tenir compte quotidiennement. Cela alors que leur modèle de production participe à “la protection et à l'exploitation raisonnable des terres”, explique Amadou Barre. Voilà qui vient nuancer la “stigmatisation dont l'élevage est l'objet”, fait remarquer Katia Roesch, puisque le chiffre de 18% est fréquemment cité lorsqu'il s'agit de déterminer l'impact du secteur de l'élevage sur la production de gaz à effet de serre. “Ces rejets sont le fait des grandes exploitations industrielles dont le but est la maximisation de la productivité et du profit. Il convient donc de distinguer les types d'élevages”, défend-elle.

Et l'Europe, dans tout ça ?

Pour Barre Amadou, ces problèmes sont les résultats de choix politiques. Si les représentants sénégalais et nigériens se sont déplacés jusqu'à Bruxelles, c'est aussi et surtout pour entamer leur action de plaidoyer et d'ainsi tenter d'infléchir les politiques agricoles de l'UE. “Le rôle des paysans n'est pas suffisamment pris en compte par les responsables européens du développement”, explique Koen van Troos. Aujourd'hui, seul 1% du budget officiel de la coopération au développement est octroyé à l'élevage. Or, ce secteur est une source de revenu pour plus d'un milliard de personnes vivant dans l'extrême pauvreté.

Les dirigeants européens peuvent-ils réellement faire une différence ? “Ils doivent pouvoir tenir compte des spécificités africaines lorsqu'ils décident des politiques à appliquer”, répond Barre Amadou qui espère, “petit à petit, grignoter du terrain”. L'appel a été reçu favorablement par certains parlementaires. C'est notamment le cas de Bart Staes (Verts) et de Michèle Striffler (PPE) : “Nous avons des responsabilités à assumer. Le pastoralisme, système de production durable, doit être supporté par les politiques européennes car il permet d’aller vers plus de sécurité alimentaire."  "L'agro-agriculture est le futur et peu jouer un rôle dans la recherche de plus d’efficience, plus de coopération et de solidarité vers davantage de justice climatique", a pour sa part commenté Thijs Berman (Socialistes et Démocrates).

A la lumière des différents témoignages, Katia Roesch osait quelques recommandations. Selon elle, il est primordial que l'UE appuie les paysans dans les politiques qui sont mises en place notamment via le cadre financier européen 2014-2020, ainsi que dans le soutien aux programmes d’actions qui sont des incitants à la résilience.

Une voix optimiste se faisait entendre; celle de Maryam Rahmanian. Après avoir insisté sur l'importance de l'accès à la terre et de l'implication de la société civile dans le processus décisionnel, l'Iranienne a estimé que les politiques étaient en train de changer... Faire bouger le centre de gravité au niveau décisionnel, c'est bien. Encore faut-il que les 500 millions d'Européens remettent en question leur mode de consommation.


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