Les Tournaisiens ou le plein d’émotions extrêmes au Bénin
Les élèves de l'Athénée Robert Campin sont passés par toute la palette des émotions lors de leur séjour sur cette terre de contrastes, où l'accueil extraordinaire se frotte à la pauvreté et la dureté du passé.
- Publié le 21-06-2023 à 18h30
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Oh, un éléphant", s'écrie une élève. Étonnant, aucun pachyderme ne réside en temps normal dans le sud du Bénin. Dans le doute, plusieurs condisciples tournent la tête vers la bête et rassurent leur camarade : "c'est une vache".
La chaleur, l’excitation et le dépaysement peuvent altérer les sens, mais l’enthousiasme, lui, demeure intact. Bien que le cliché veut que les jeunes de 16 à 20 ans aient le regard rivé sur leur téléphone et ne s’émerveillent jamais devant rien, les dix-sept élèves de cinquième et sixième années de l’Athénée Robert Campin de Tournai ne cessent, au contraire, de s’extasier sur tout. À tel point qu’il faut rapidement une réunion de crise pour bannir le mot "incroyable", revenu 8 759 fois lors du débriefing du premier soir.

L’intelligence et la curiosité des ados
"Le journaliste, lui, ne fait pas grand-chose", nous fait-on remarquer en guise de réponse et de plaisanterie. C'est vrai, il écoute, regarde, mange de l'ananas (s'assoupit à de rares occasions) et se laisse totalement absorber par deux choses. D'abord, l'extraordinaire vitalité du Bénin - et plus largement de l'Afrique de l'Ouest - terre de couleurs, de contrastes et d'émotions extrêmes. La beauté des sourires, des pagnes et des cérémonies d'accueil pourrait facilement occulter la situation d'un État qui vient à peine de sortir de la liste des 25 pays les plus pauvres au monde. Les jeunes sont là pour se confronter à cette réalité-là également, avec l'aiguillage d'une ONG experte comme Île de Paix.
Le second élément tient au groupe lui-même, l’intelligence et la curiosité des jeunes et moins jeunes Tournaisiens, dont la bienveillance et l’état d’esprit donneraient presque envie de retourner à l’école.

"T’as pas un truc à souder ?"
Nous pourrions évoquer en détail la visite du village sur pilotis des pêcheurs de Ganvié, la florissante et piégeuse vallée du Sitatunga où il ne fait pas bon être bébé crocodile, la culture d’ananas, la fabrication d’engrais à l’aide de composts, le développement timide mais réel du bio béninois, le cannibalisme des poissons-chats (et leurs cousins les poissons-chiens), l’initiation au vaudou sous la drache ou l’intensité émotionnelle de chacun des échanges entre Belges et Béninois. Impossible, l’espace nous manque. Les élèves se feront un plaisir de partager leurs nombreux carnets de bord, rédigés avec soin, entre deux confections de bracelets.
Sans doute y auront-ils assez peu écrit sur l’immersion professionnelle prévue en milieu de séjour. Quand on passe l’après-midi chez un soudeur qui n’a rien à souder, le temps peut sembler long. De retour en Belgique, on se dit, toutefois, que l’expérience n’était pas si mauvaise. Autre mode de vie, autre rapport au temps. Certains jeunes béninois donneraient beaucoup pour y être engagés comme apprentis. Quelques-uns des correspondants rencontrés au "Carrefour jeunesse" de la ville de Comé ont été délaissés ou abandonnés. Pendant deux ans, ils se rendent dans ce centre de formation pour y apprendre un métier. Seule façon, au final, de réorienter leur destin. Alors on joue, on danse, on parle et on découvre, ici aussi, d’autres récits de vie.

Le chemin des esclaves
En matière de destin, difficile de résumer grossièrement la dernière partie du voyage. La veille de leur retour en terres humides, Candice, Zoé, Florent et leurs quatorze camarades parcourent six kilomètres à pied sous 40 degrés dans la petite ville de Ouidah. Pas évident, mais ça reste 195 km de moins que ceux effectués ici même, aux XVIIIe et XIXe siècles, par les millions de personnes capturées, enchaînées, réduites en esclavages et envoyées vers les Amériques. On a beau "connaître l’histoire", parcourir les six dernières étapes de ce "chemin de l’esclavage" donne un tout autre regard sur ce passé proche et abominable, aux conséquences encore bien visibles aujourd’hui. Capturé et acheminé tel une bête, l’esclave était vendu au marché, marqué au fer rouge, abandonné dans une case durant deux semaines pour être totalement déshumanisé, puis jeté vif ou mort dans une fosse commune en cas de "défaillance". Les autres étaient alignés et couchés - sur le ventre pour les hommes, le dos pour les femmes - dans une cale de bateau, après avoir franchi la "porte de non-retour". Certains arrivaient à destination, les autres étaient jetés à la mer.
Pendant une dizaine de jours, 17 ados, leurs 2 professeurs et Nico - éducateur et très bon compagnon de chambrée (qui ronfle, malgré ses dires) - ont ri, chanté, pleuré, réfléchi, échangé et, surtout, vécu une tout autre réalité. Merci à vous d’avoir gardé l’esprit grand ouvert, et surtout, restez curieux.
