Le coronavirus plonge la Chine dans une nouvelle crise (géo)politique
Dans un pays où garder la face se révèle essentiel, la fermeture des frontières terrestres de pays voisins amis (comme le Kazakhstan, le Népal ou la Corée du Nord) et l’interdiction d’entrée, aux États-Unis ou en Australie, d’étrangers venant de Chine claquent comme une gifle. D’autant qu’elles s’accompagnent, sur les réseaux sociaux, d’un tombereau d’injures, de fantasmes et de critiques antichinois (l’origine supposée du coronavirus - une soupe de chauve-souris - n’aidant évidemment pas).
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Publié le 05-02-2020 à 14h38 - Mis à jour le 06-02-2020 à 07h49
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Dans un pays où garder la face se révèle essentiel, la fermeture des frontières terrestres de pays voisins amis (comme le Kazakhstan, le Népal ou la Corée du Nord) et l’interdiction d’entrée, aux États-Unis ou en Australie, d’étrangers venant de Chine claquent comme une gifle. D’autant qu’elles s’accompagnent, sur les réseaux sociaux, d’un tombereau d’injures, de fantasmes et de critiques antichinois (l’origine supposée du coronavirus - une soupe de chauve-souris - n’aidant évidemment pas).
Le rédacteur en chef du Global Times, Hu Xijin, a réclamé des États-Unis, avec lesquels Pékin est en conflit commercial, qu’ils fassent "preuve de respect envers la Chine". Ils ne font "que créer la panique" au lieu de fournir une assistance concrète, a déploré la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hua Chunying. De là à soupçonner Washington de profiter du virus pour affaiblir le pays du Milieu, il n’y a qu’un pas. Le Global Times a d’ailleurs opportunément fait passer le message sur son site : "Le virus ne donnera pas plus de pouvoir aux États-Unis dans la deuxième phase des négociations commerciales", "les accusations et les insultes ne détourneront pas la Chine du combat contre le coronavirus".
Pékin, tout en critiquant "l’hystérie médiatique occidentale", préfère braquer les projecteurs sur les marques de soutien, l’aide internationale dont elle a encore besoin, les félicitations pour l’impressionnante mobilisation, malgré des "insuffisances" et "difficultés apparues dans la réponse apportée à l’épidémie", selon l’agence Chine nouvelle.
"Son image est écornée, mais la Chine montre qu’elle prend des mesures comme peu d’États au monde en seraient capables", qu’il s’agisse d’un confinement à grande échelle ou de la construction expresse d’hôpitaux, constate Thierry Kellner, chargé de cours à l’ULB, spécialiste de la Chine. "Certains États proches de Pékin mettront plutôt en avant ces éléments positifs de la gestion de la crise, tandis que d’autres, plus négatifs à l’égard de la politique chinoise (vis-à-vis de Hong Kong, de Taïwan, des Ouïghours), se montreront beaucoup plus critiques."
Manque de transparence
Ces deux visions se retrouvent dans l’opinion chinoise. Les Chinois constatent l’ampleur des efforts déployés par le parti communiste, mais critiquent aussi le manque de rigueur dans la politique sanitaire et de santé publique, épinglent les ratés et la rétention d’information. Pékin n’aurait pas à faire la preuve d’une certaine efficacité aujourd’hui si des erreurs n’avaient pas été accumulées en début de crise.
"On observe une grande contradiction entre l’image de gestionnaire impeccable que le parti se donne et ce qui s’est passé", note M. Kellner. Plutôt que de lutter contre le virus, les autorités se sont dans un premier temps évertuées à cacher la réalité. Des médecins de Wuhan, qui avaient comparé le virus au Sras, ont été arrêtés ; Internet a été censuré de ses allusions à la maladie. "Or, plus une société est transparente, plus rapidement elle peut prendre des mesures sans attendre un mois."
La structure du pouvoir n’a pas aidé à la transparence : les responsables peuvent craindre pour leur carrière en faisant remonter les problèmes aux échelons supérieurs. Si le secrétaire local du Parti communiste chinois, Ma Guoqiang, a déclaré être "envahi par un sentiment de culpabilité, par les remords", le maire de Wuhan, Zhou Xiangwang, sous le feu des critiques, a pour sa part expliqué que la loi l’empêchait de publier des informations avant d’avoir reçu l’autorisation du gouvernement central.
La perte de temps qui en a découlé a aujourd’hui également des conséquences sur la santé de l’économie, "ce qui est grave pour la Chine vu que toute la légitimité du pouvoir repose sur la croissance", note Thierry Kellner.
Les jours de Xi Jinping, qui est déjà l’objet de critiques feutrées au sein du pouvoir, sont-ils comptés pour autant ? Les avis divergent. "Un commentateur parle du moment Tchernobyl pour le pouvoir chinois, une grande crise qui pourrait le déstabiliser fortement, rapporte Thierry Kellner. Un autre relève que, même si les déficiences sont très importantes, la campagne de propagande autour de ce que fait le pouvoir, qui se défausse sur les responsables locaux, prendra le dessus." Des fusibles ont déjà sauté dans le Hubei.