Covid-19: paradoxalement, le multilatéralisme n’a jamais été aussi malmené
L’épidémie de coronavirus a mis en lumière les défaillances et les fragilités de nos sociétés. Quelles leçons notre pays peut-il en tirer ? Quels changements pourraient être mis en œuvre sans attendre et pour être opérationnels dans un horizon de cinq ans ? Notre série se penche aujourd'hui sur la coopération internationale. Focus sur les Nations unies.
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Publié le 30-07-2020 à 08h53 - Mis à jour le 30-07-2020 à 09h42
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La pandémie de Covid-19 a achevé de démontrer l’importance vitale de la coopération internationale - quand bien même la lutte contre le dérèglement climatique, la protection de la faune, la flore et l’environnement, ou le sauvetage pur et simple de notre planète, devaient déjà nous en avoir convaincus. Paradoxalement, le multilatéralisme n’a pourtant jamais été aussi malmené. Il ne s’agit plus seulement de l’habituelle neutralisation mutuelle des grandes puissances au Conseil de sécurité de l’Onu, mais aussi de l’affaiblissement de ses agences spécialisées, chroniquement sous-financées. Le retrait des États-Unis de l’Unesco hier et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aujourd’hui prive ces institutions de leur plus gros contributeur et porte un coup terrible à leur réputation. On peut d’ailleurs penser que l’Amérique de Trump quitterait tout simplement les Nations unies, si elle ne craignait pas de se priver du moyen de bloquer les actions de la Chine et de la Russie, ou de sanctionner ses ennemis.
La crise existait avant Trump
Sans doute la dégradation actuelle s’explique-t-elle donc, pour une part, par la présence à la Maison-Blanche d’un président fantasque qui, de l’aveu de ses conseillers les plus éminents, ne s’intéresse guère aux questions internationales et en comprend moins encore les enjeux. Toutefois, la crise que traverse le système onusien (alimentée par les critiques récurrentes des Administrations américaines, toutes couleurs politiques confondues) préexistait à l’arrivée de Donald Trump et est même très ancienne. Cela fait longtemps, en effet, qu’on reproche à l’Onu sa bureaucratie, ses gaspillages, son inefficacité, ses incohérences (qu’on songe à ce détail : pas de tri sélectif des déchets au siège new-yorkais d’une Organisation qui exhorte la planète à améliorer ses comportements). Cela fait longtemps qu’on déplore surtout son inadéquation au monde actuel, avec des structures et un fonctionnement qui traduisent toujours le rapport de force tel qu’il était au moment de sa fondation, en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’Onu est avant tout une création américaine (et le rêve d’un président, Franklin D. Roosevelt), qui n’a pu aboutir que moyennant des concessions faites à l’URSS (aux dépens de pays est-européens dont la Pologne). L’Angleterre de Churchill a pesé peu dans la balance, la France de De Gaulle et la Chine de Chiang Kai-shek encore moins. L’octroi d’un droit de veto à ces "cinq Grands", né certainement d’un désir de domination, mais aussi d’un réflexe paternaliste destiné à mettre l’Organisation à l’abri des possibles errements des "petits", a fini par asservir l’unique institution à vocation universelle à la volonté de ces cinq grandes puissances historiques et, très (trop) souvent, à la paralyser.
Le casse-tête de la réforme
Dans le même temps, il existe un consensus pour estimer que l’Onu est plus nécessaire que jamais, voire qu’elle est indispensable. Précisément parce que c’est la seule organisation universelle et qu’il est impossible de songer à en concevoir une autre, dans des conditions bien moins favorables qu’elles ne l’étaient il y a 75 ans, au sortir d’un conflit épouvantablement meurtrier. On parle donc, depuis des lustres, d’une réforme de l’Onu et, en particulier, de son principal organe de décision, le Conseil de sécurité. On voudrait ainsi abolir le droit de veto et/ou élargir le cercle des membres permanents en y faisant entrer les géants d’aujourd’hui : l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil, l’Égypte, l’Afrique du Sud…
Le projet se heurte, cependant, à des obstacles qui paraissent insurmontables. D’abord, les détenteurs du droit de veto ne voient évidemment pas pourquoi ils s’en priveraient ou le partageraient avec d’autres. Ensuite, le choix d’éventuels nouveaux membres permanents (auxquels on n’accorderait pas de droit de veto, ce qui diminuerait fortement le privilège) s’annonce on ne peut plus compliqué en raison des rivalités régionales. La Chine ne veut pas faire de cadeau au Japon ou à l’Inde. Le Pakistan et l’Iran, mais aussi l’Indonésie, se verraient tout aussi bien au Conseil de sécurité. En Afrique, des pays comme le Nigeria ou la République démocratique du Congo ont des prétentions à faire valoir, comme le Mexique, l’Argentine et le Chili en Amérique latine. Le casse-tête a donné des migraines aux personnalités les mieux intentionnées et n’a servi qu’à occuper futilement, diront les esprits chagrins, les vagues successives de diplomates qui viennent passer quatre ans à la représentation de leur pays auprès de l’Onu.
Dans ces conditions, on ne peut guère espérer mieux que des changements ponctuels au sein des diverses composantes du système onusien : plus de rigueur budgétaire, plus de transparence, plus de réactivité… Ces améliorations sont, certes, importantes et souhaitables, mais elles ne remettront pas en cause l’ordre établi et ne modifieront rien de fondamental. Pareillement, on peut escompter un retour en force des États-Unis en cas d’élection de Joe Biden, qui devrait logiquement refaire ce que Donald Trump a défait, et renouer par exemple avec l’Unesco et l’OMS. Le candidat démocrate n’en défend pas moins un programme aux forts accents protectionnistes et l’Onu peinera toujours autant à rayonner au-delà de New York pour atteindre Washington. C’est pourquoi l’ordre du monde de l’après-Covid risque fort de ressembler à s’y méprendre à celui d’avant.