Jim Brainard, le maire vert rebelle du parti Républicain: "Joe Biden peut nous rassembler"
"Licorne" du parti républicain, le maire de Carmel (Indiana) aux États-Unis est un fervent défenseur de la cause climatique. Jim Brainard "attend avec impatience" la passation de pouvoir de Joe Biden le 20 janvier.
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Publié le 17-01-2021 à 10h45 - Mis à jour le 20-01-2021 à 16h08
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Une "licorne". Ou un "éléphant rebelle". C’est ainsi que ses proches ou les médias décrivent Jim Brainard, maire de la petite ville de Carmel, située dans l’Indiana aux États-Unis. La particularité de "Mayor Brainard", qui attire l’attention de la presse locale et internationale ? Il appartient au parti Républicain mais est, contrairement au président Trump et nombre de ses coreligionnaires, un grand partisan de la lutte contre le réchauffement climatique. Il a notamment pris part à la Conférence sur le climat de l’Onu, dans le cadre du mouvement We are Still In, créé aux États-Unis en réaction au retrait des accords de Paris. Il a répondu à nos questions au début de cette semaine, en vue de la passation de pouvoir du 20 janvier, par vidéoconférence depuis son domicile de Carmel.
Quels ont été vos sentiments lorsque vous avez vu ces images au Capitol, la semaine dernière ? De la tristesse. Dans ce qu’il s’est passé, ce qui est particulièrement terrible, c’est que cela ait été encouragé par des leaders politiques. Je veux quand même souligner que c’était un petit nombre de personnes qui ont faussement trompé les gens. Je suis très optimiste que nous allons retourner à une situation tout à fait normale dans les semaines et mois qui viennent.
Selon vous, Donald Trump devrait-il être puni pour cette émeute ? Et devait-il être destitué sur-le-champ ? Il a certainement encouragé ces gens à le faire ! Tout comme son avocat, Rudolph Guliani. Il y a beaucoup de questions en ce moment à propos de l’éventualité qu’il ne soit pas stable mentalement. […] Je crois en tout cas qu’il est important qu’il ne soit plus autorisé à être élu, donc qu’il y ait un procès. Je pense qu’il sera important que les sénateurs américains tiennent un procès sur ces charges, même s’il n’est plus en fonction. Ils ne doivent pas le faire tout de suite, mais il faut qu’ils le fassent à un moment donné. On a beaucoup de choses à gérer actuellement, avec l’économie, le Covid-19 et d’autres problèmes… Joe Biden lui-même veut appliquer son programme ! […]
Comme républicain, regrettez-vous à présent de l’avoir soutenu ? Le parti devrait-il le regretter ? Donald Trump a prouvé qu’il n’était pas Républicain. Donald Trump n’est pas un Républicain ! Il n’a hérité d’aucun des principaux idéaux du parti Républicain.
Mais le parti l’a tout de même soutenu pendant 4 ans…
En avalant avec effort, en se bouchant le nez. Et les gens ont fait cela parce que Donald Trump affirmait être républicain. Mais je ne pense pas qu’il ait beaucoup de soutien au sein du parti. Demandez à la majorité des républicains ce qu’ils pensent de lui, semi publiquement, ils seront en désaccord avec tout ce qu’il représente et défend.
Vous êtes connu pour vos prises de position en faveur du climat et de l’environnement. Quel a été selon vous le pire impact de Donald Trump en matière climatique durant ces 4 ans ?
La présidence de Donald Trump a été très mauvaise pour l’environnement. Il a par exemple encouragé l’industrie d’extraction de charbon, la pire façon qui existe de fournir de l’énergie. À l’agence de protection de l’environnement, il a éliminé des régulations qui devaient l’être, mais a aussi éliminé beaucoup de bonnes régulations. Ma théorie à propos d’un gouvernement limité, c’est que l’on doit se concentrer sur les règles qui font la différence, mais peut-être ne pas accorder autant d’attention aux petites, qui ne font pas de grandes différences. Je conviens que certaines régulations avaient besoin d’être relues, changées et peut-être éliminées. Mais beaucoup de règles environnementales importantes ont été changées. Comme les règlements sur les émissions de méthane qui ont été assouplies… C’est produit par les eaux usées d’ailleurs. Nous, à Carmel, on l’intercepte et il est utilisé dans notre processus de traitements des eaux usées (et contribue au final à produire de l’électricité, NdlR) !

Selon vous, protection du climat et républicain ne sont pas forcément des oxymores. Vu d’Europe, c’est pourtant l’impression que l’on a…
Si vous regardez le contexte historique, au début du XXe siècle, le président Théodore Roosevelt, qui était Républicain, créa les parcs nationaux et mit donc à l’abri de grandes parties de territoire pour le futur. Il soutenait beaucoup l’environnement et les causes environnementales. Le président Eisenhower, dans les années 50-60, républicain, signa un acte pour créer une grande réserve naturelle en Alaska. Quant à Nixon, qui, on le sait, n’était pas parfait, c’est sous son administration que se créa notre première agence de protection de l’environnement, l’EPA. Ce fut la première fois que l’on avait des lois nationales sur l’environnement… […] Et jusqu’au président Bush Sr, qui a implémenté un système qui permet de suivre les données climatiques à intervalle régulier… On a donc une histoire d’un siècle avec une hiérarchie du parti républicain s’engageant, sous forme de résolutions et d’actions, en faveur de la protection de l’environnement. C’est seulement récemment que le parti républicain s’en est éloigné. Et cela n’a aucun sens ! J’espère que l’on pourra faire marche arrière vers ces valeurs. Il y a plein de façons de le faire. Des jobs peuvent être créés en concevant des produits verts. On peut instaurer une taxe carbone pour ceux qui relâchent du CO2 dans l’atmosphère. C’est une idée qui vient en fait du parti républicain, datant déjà d’il y a un certain nombre d’années, mais qui n’a jamais été implémentée. Je pense que c’est une option aussi. On peut retourner vers une promotion non partisane. Je n’ai encore jamais rencontré de membres du parti démocrate ou républicain qui veulent que leur famille boive de l’eau ou respire de l’air pollués.

Pourquoi cet intérêt pour la nature a-t-il changé aussi drastiquement chez les Républicains ? Plus largement, comment expliquez-vous la présence de climatosceptiques dans votre parti ?
Il y a ces présentateurs d’émissions de radios. Ils gagnent des millions de dollars en encourageant continuellement les gens à s’exciter sur ces questions climatiques. Ils ont creusé un fossé entre les républicains modérés qui se préoccupent de l’environnement et les autres membres du parti, peut-être un peu moins bien éduqués, qui négligent tout ce qui concerne le changement climatique et l’environnement. J’appelle ces médias la machine médiatique de l’aile droite. Je ne crois pas que les responsables de ces émissions se préoccupent beaucoup de l’état du pays ou du monde. Ils se préoccupent de faire de l’argent et de vendre beaucoup de publicités pendant leur émission. Et ce, peu importe les faits et la vérité. Ces émissions de radio expliquent aussi pour moi la présence de climatosceptiques dans mon parti. Pour ceux qui n’ont pas de hauts diplômes, je pense que c’est difficile de comprendre à quel point le changement climatique est important. Ils n’ont pas été entraînés à l’université aux faits, à se projeter dans le futur… Et ce n’est pas de leur faute. Ils n’ont pas eu les opportunités que nous avons eues.
Ne vous sentez-vous pas isolé au sein de votre parti sur ces questions climatiques ?
Oui et non. Je rencontre en fait beaucoup de républicains qui se préoccupent de l’environnement. Et je vais vous raconter une anecdote datant d’il y a quelques années maintenant : dans ma ville, je discutais, avec un homme très conservateur qui était fâché que j’aie consacré pas mal d’argent à convertir les lampadaires de la ville en lampes LED. Il était aussi tout à fait climatosceptique. Mais je lui ai fait remarquer que oui, j’avais dépensé cet argent pour ce changement, mais que l’on faisait une économie de 10 % sur notre facture d’électricité. Et là, il a souri et il a dit : ‘finalement, je suppose que c’était une bonne idée’! Ce que je veux dire, c’est qu’il y a différentes façons d’amener les gens à être d’accord, même s’ils nient la science et le changement climatique, que ce qu’on fait est une bonne idée. Ainsi, on sait que le charbon est vraiment mauvais pour la santé. Si on peut montrer aux gens qu’ils vont vivre plus longtemps, que les factures médicales vont baisser, qu’ils croient ou non en la science climatique, c’est une façon d’attirer les gens. Si on peut montrer que les panneaux solaires, les éoliennes ou les LED sont plus efficaces et permettent d’épargner de l’argent au contribuable, c’est une autre façon de faire arriver les climatosceptiques aux mêmes conclusions que ceux qui pensent à l’environnement.

Vous n’hésitez pas à dire que vous êtes impatient de la passation de pouvoir, et heureux de l’arrivée de Joe Biden comme nouveau président…
Oui.. Pourquoi ? Dans mon arrondissement, ici à Carmel, normalement 70 % des habitants votent républicain. Et pourtant Joe Biden a récolté 58 % des votes, cette fois. C’est une zone très formée, la plupart des gens ont un diplôme universitaire. Ils n’ont pas supporté la négation des faits de la présidence (Trump), et la démagogie dont elle a fait preuve vis-à-vis de son électorat[…] Les idéaux des républicains, c’est un gouvernement limité, l’égalité des chances… Dans les primaires démocrates, il y avait beaucoup de candidats, et pour moi, seul Joe Biden pouvait gagner. C’est un candidat très modéré, "du milieu" et il n’a pas effrayé les républicains comme d’autres candidats démocrates d’extrême gauche auraient pu le faire. Biden a été en politique toute sa vie. On connaît ses idées. Je pense que c’est un candidat qui peut rassembler - et qui j’espère rassemblera - les gens des deux côtés. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer à plusieurs reprises quand j’étais dans la task force climat de Barack Obama. Et clairement, ce n’est pas un républicain, c’est un démocrate ! Mais il est acceptable pour les républicains du milieu. Et puis, oui, je suis content, en raison de ses positions sur le climat. Je suis certain qu’il fera un bien meilleur travail dans ce domaine que Donald Trump !

Justement, qu’attendez-vous de ces quatre années à venir au niveau climatique aux États-Unis ? Et pour votre parti ? J’espère qu’il y aura des améliorations. J’espère que Joe Biden va tendre la main et faire appel aux Républicains. Pour créer des emplois, protéger la qualité de l’air et de l’eau, réduire l’utilisation des combustibles fossiles, augmenter le taux d’énergie renouvelable que nous utilisons. Un des rôles de l’État fédéral est de créer des partenariats environnementaux pour les États et gouvernements locaux ; tant de choses prises en charge au niveau local impactent l’environnement. Et nous avons un temps limité… Dans un pays comme les États-Unis, ce dont peut avoir besoin en cette matière l’Arizona ou le Minnesota peut être très différentNous voulons revenir à un système de bourses, où le gouvernement fédéral prend une partie des revenus et alloue ces sommes au niveau local, pour que les villes fassent des changements positifs au niveau environnemental, mais sans que cela doive être attribué à des choses identiques partout. Parce que dans un pays si grand, les villes ont des besoins différents. L’idée serait donc que les villes aient le choix de l’attribution. Les maires des États-Unis sont vraiment pleins d’espoir - et font pression - pour cela. On avait une loi similaire que l’on a utilisée une fois, à l’occasion de la crise de 2008. Nous demandons au gouvernement fédéral de réinstaller cette loi.En ce qui concerne le parti Républicain, j’attends que l’on travaille ensemble sur de bonnes idées. Pas sur des idées censées être "Républicaines" ou "Démocrates", mais des idées bonnes pour notre pays et pour le monde. Et cela s’applique aussi aux thématiques climatiques. Si on met le pays au-dessus des partis, on servira les citoyens

Que faites-vous déjà dans votre ville pour combattre le réchauffement climatique et protéger l’environnement ? Aux États-Unis, après la Seconde Guerre mondiale, les gens ont quitté les villes pour une petite maison et un jardin à la campagne. Cela semblait très idyllique au début. Mais l’habitat s’est étalé et on a construit des routes et des routes, pour des voitures, et pas pour les gens. À Carmel, à travers des partenariats publics et privés, on a redessiné la partie centrale de notre ville, pour qu’on puisse s’y balader, que ce soit accueillant pour les piétons. On a construit 230 miles de pistes cyclables. L’Américain moyen conduit deux heures par jour ! Nous, nous redessinons une ville où les gens ne doivent pas conduire, ou s’ils le choisissent, le font sur de courtes distances. Aux États-Unis, il y a très peu de villes qui ont de bons transports publics comme on le voit en Europe : il y a juste Washington, Boston, New York, Chicago et San Francisco. Donc, en tant que maire, il faut vraiment penser les choses avant tout en termes de meilleur design de la ville. Nous avons construit des centres d’énergie, qui fonctionnent en permanence mais passent d’un building à l’autre, ce qui permet de réduire la consommation. Nous installons des panneaux solaires. On recycle aussi ce qui reste de nos eaux usées, ce qui sert d’engrais pour les fermiers. Nous sommes aussi la ville où il y a le plus de ronds-points aux États-Unis, où traditionnellement, la circulation des carrefours est réglée par les feux rouges. Nous les avons remplacés par des ronds-points. Cela épargne des vies. Et permet d’économiser d’énormes quantités de carburants et d’émissions carbone.
Qu’en pensent les habitants de Carmel ? J’ai été élu sept fois, donc je pense qu’ils sont contents de ce qu’on fait ! (rires).