Après Fox News, un autre média fait un malheur chez les "trumpistes"
La chaîne de télévision a le vent en poupe depuis que Fox News, sa rivale, a été délaissée par une frange de supporters de Donald Trump.
Publié le 31-03-2021 à 10h41 - Mis à jour le 23-06-2022 à 10h03
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Fallait-il ou non s’entêter ? Fox News, chaîne de télévision conservatrice opérant sur l’ensemble du territoire américain, avait depuis 2016 pris fait et cause pour Donald Trump, bien poussé en cela par l’amitié entre son directeur, Rupert Murdoch, et le milliardaire alors en course pour l’investiture républicaine. Quatre années durant, lors de la présidence de M. Trump, les animateurs de la chaîne, en particulier ceux que l’on retrouvait dans les talk-shows diffusés en soirée, s’étaient mués en premiers partisans du Président, fustigeant en permanence une élite démocrate jugée politiquement "dépravée" et systématiquement opposée aux desseins présidentiels. Donald Trump, narcisse en chef, ne cachait pas lui-même son amour pour la chaîne, dont il avait fait son premier vecteur d’information, et dont il dévorait, pots de glace à la vanille à l’appui, les contenus dithyrambiques à son égard. C’est d’ailleurs Laura Ingraham, une présentatrice de la chaîne, qui bénéficiait généralement des faveurs du Président lorsque celui-ci se décidait à accorder de grands entretiens à la presse.
Lorsque, mi-novembre dernier, il apparut que les recours en justice du Président visant à remettre en cause le résultat de l’élection étaient voués à l’échec, la Fox décida de lâcher son poulain et d’honorer sa mission de neutralité journalistique, du moins dans le cadre de ses bulletins d’informations diffusés en journée. Elle devait ainsi, à la grande déception de nombre de ses fidèles, décider de qualifier Joe Biden de "président-élu". Pire, lors des émissions de soirée, le présentateur vedette Tucker Carlson, pourtant fidèle parmi les fidèles de Trump, devait émettre des doutes sur la "probité" des allégations de fraude électorale assénées par le Président. Enfin, lors de la journée du 6 janvier ayant vu les partisans du Président envahir le Capitole à Washington, la chaîne d’information devait frustrer encore plus certains des partisans "durs" du président en se montrant critique vis-à-vis du discours prononcé par ce dernier avant la charge contre le Capitole.
Une place à prendre à droite toute
Il n'en fallait pas plus pour qu'une station de télévision jusqu'alors assez confidentielle, Newsmax, émettant depuis la Floride, récupère ces déçus de la Fox avec une tactique éditoriale bien simple : remise en cause systématique du résultat des élections et refus concomitant de déclarer un vainqueur. "Cela fait maintenant six mois que j'ai laissé tomber la Fox, après que Paul Ryan (ancien speaker de la chambre basse fédérale et ennemi personnel de Donald Trump, NdlR) a rejoint son conseil d'administration, explique Debbie Dooley, militante conservatrice pro-Trump originaire de la région d'Atlanta. Je me suis tournée naturellement vers Newsmax. La Fox est aujourd'hui le porte-voix de l'establishment républicain : très peu pour moi."
Une chaîne en gestation
Newsmax n’a pas encore les moyens de ses ambitions. Fondée en 1998 comme site d’information internet, qui dernièrement se mobilisait encore pour lever des fonds afin d’assurer son développement, Newsmax connaît encore fréquemment des soucis techniques consécutifs à un manque de rodage opérationnel. Passé ces perturbations, c’est surtout l’absence d’intervenants de premier plan qui grève la popularité naissante de la chaîne, même si elle a pu récemment attirer Newt Gingrich, speaker de la Chambre dans les années 1990, fossoyeur en chef de la présidence Clinton (au moins du point de vue démocrate), et qui officie depuis peu en tant que contributeur au site internet de la chaîne.
Des intervenants "vendeurs" pour faire... de la vente. C'est précisément ce que Newsmax se propose de faire, et ce même si les sujets abordés (agenda politique démocrate, cancel culture, questions d'inclusion raciales, entre autres) sont tout à fait pertinents au regard de l'actualité. Comme le relève Steven Livingston, professeur à l'université George Washington, et auteur de The Disinformation Age ("L'ère de la désinformation", Cambridge University Press, 2021, non traduit en français), "la chose la plus importante à considérer est que Newsmax, au contraire de médias traditionnels de type ABC, NBC ou les grands titres de presse écrite, est basé sur un modèle strictement commercial, lucratif, qui n'entend pas faire du journalisme basé sur les faits mais plutôt du journalisme d'opinion." La chaîne a donc su récupérer les déçus de Fox News pour rentrer dans une dynamique encore plus à droite toute. "Newsmax n'est pas jugé par ses habitués selon des critères d'une information basée sur des faits vérifiables mais sur une capacité à pousser un agenda politique", poursuit l'universitaire. "Les codes déontologiques qui prévalent dans le journalisme traditionnel et qui peuvent, en cas de non-respect, engendrer des licenciements, ne font pas partie du cadre de travail de Newsmax, et dans une moindre mesure de la Fox", indique Steven Livingston, qui rappelle que, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, une grande partie de l'espace journalistique américain était occupé par la presse d'opinion. "Elle est aujourd'hui de retour, mais elle ne s'assume pas comme telle, ce qui constitue l'essence du problème d'un point de vue déontologique."
La presse conservatrice américaine, tout comme la presse plutôt orientée à gauche, souffre ainsi selon certains observateurs d'une difficulté à revendiquer pleinement la paternité d'un parti pris idéologique. Même si des médias comme Newsmax et Fox ont une vision éminemment délicate du respect des faits - certainement pour la première au regard de l'épisode des élections revendiquées "truquées" -, certains experts revendiquent le bien-fondé d'une presse d'opinion bien revendiquée. "Se déclarer idéologiquement orienté participe à mon sens d'un secteur sain de la presse", affirme Tim Groeling, professeur à l'université UCLA, et auteur de When Politicians Attack - Party Cohesion in the Media ("Lorsque les politiciens attaquent", - Cambridge University Press, 2010). "Tout se joue au niveau du respect des faits. Si cette condition est remplie, alors des médias conservateurs comme Fox News ont toute leur place dans le paysage médiatique", estime l'universitaire.
Médias traditionnels et crise de confiance
La montée en puissance de la Fox depuis une dizaine d'années ainsi que l'émergence récente de Newsmax mettent en lumière la crise de confiance envers les médias aux États-Unis. "Pendant quarante ans, principalement poussé par les radios d'opinion, le discours conservateur et libertaire a diabolisé trois institutions, le gouvernement, les médias et la science, et a profondément influencé nombre d'Américains, indique Steven Livingston. Mais la question se pose de savoir qui est responsable de cette crise de confiance. Les médias traditionnels eux-mêmes, ou un système américain d'éducation parcellisé au sein duquel la qualité d'enseignement - et donc d'apprentissage de l'esprit critique - varie immensément ?" conclut l'universitaire.