Pittsburgh, cette ville américaine qui prend une revanche sur le sort
Autrefois point névralgique de l’Est américain, la deuxième ville de Pennsylvanie a pu renaître de ses cendres en investissant dans les nouvelles technologies.
- Publié le 18-07-2021 à 17h38
- Mis à jour le 19-07-2021 à 16h15
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L’endroit était stratégique. Longtemps disputée entre Anglais et Français avant l’indépendance américaine, la zone où l’Ohio prend son cours, à la confluence des rivières Allegheny et Monongahela, se devait de devenir une ville carrefour. De cité commerciale, la ville fondée en l’honneur de l’homme d’État anglais William Pitt se mua rapidement, durant la première moitié du XIXe siècle, en ville industrielle. Des entreprises de grande taille commencèrent à faire leur apparition le long des trois rivières mais aussi en ville, tirant profit du charbon à bas prix largement présent dans le relief local. Les cours d’eau de la ville procuraient un moyen de transport peu onéreux pour les biens produits, et de nombreuses lignes de chemin de fer furent construites, permettant d’envoyer les biens produits en ville - fer et acier, principalement - aux quatre coins du pays. Comme l’indique John Miller, journaliste du Wall Street Journal longtemps dépêché en ville, "Pittsburgh était, sur la frontière menant vers l’ouest, la première mé tro pole bien distincte des cités coloniales du "vieux monde" comme Boston, Philadelphie ou New York".
La ville, lors de la période dite du "Gilded Age" ("âge doré" entre la reconstruction post-guerre civile (1861-1865) et le début du vingtième siècle), avait trouvé une place de choix sur l’échiquier industriel américain. C’était l’époque des grandes dynasties familiales de l’entreprenariat américain, des Carnegie, Frick ou Heinz, dont la première a laissé une empreinte durable en ville, surtout en raison de l’université qui prit son nom et qui devait devenir une référence, plus d’un siècle plus tard, en matière de robotique. Au tournant des XIXe et XXe siècles, une large diaspora venant d’Europe centrale et orientale s’installa sur place et s’engagea dans la production d’acier ainsi que dans les mines de charbon. Celles-ci furent largement exploitées, et, malgré les nombreuses grèves qui émaillèrent leur exploitation, firent de Pittsburgh une ville minière à part entière jusqu’à la veille du second conflit mondial.
Une première renaissance
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les décideurs de la ville cherchèrent différents moyens de la revitaliser, s’inquiétant des conditions environnementales dégradées - en premier lieu la pollution de l’air - rendant la ville inhospitalière pour d’éventuels nouveaux arrivants. De nombreux projets d’aménagement des terres virent le jour, parmi lesquels des parcs, des autoroutes, un centre urbain totalement rénové, ainsi que des systèmes destinés à contrôler les inondations qui trop souvent par le passé avaient meurtri la ville. Pittsburgh devint connue sous le nom de "Renaissance city" ("la ville de la Renaissance") : la première cité industrielle à tenter de se réinventer.
Le secteur de l’acier restera prépondérant économiquement durant la fin des années 1940 et les années 1950, profitant d’un charbon abondant et à bas prix ainsi que d’un transport fluvial aisé. Mais faute d’innovation et à cause d’une compétition accrue, il commença à péricliter à la fin des années 1960, provoquant un exode massif de population. "La zone du grand Pittsburgh devint une région spécialisée dans l’acier grâce à la qualité du charbon, et donc du coke essentiel à sa production. Mais cette compétitivité a commencé à décroître après que des nouvelles technologies ont fait leur apparition. Elles permettaient de se passer du charbon et du coke pour la production d’acier", indique Chris Briem, économiste à l’université de Pittsburgh et fin connaisseur de l’histoire de la ville. "Pittsburgh a dès lors perdu son avantage compétitif. Dans les années 1950, on comptait près de 400 000 emplois industriels dans la région. Ce chiffre a baissé aujourd’hui de près de 80 %, touchant principalement le secteur de l’acier, qui s’est effondré lentement". Les tensions raciales de l’époque - en pleine décennie des droits civiques - achevèrent de porter un coup à la ville. C’est aussi l’époque de la création des banlieues dans l’essentiel des grandes villes américaines, dont Pittsburgh, qui vit une grande partie de ses habitants blancs de la classe moyenne délaisser le centre pour aller s’installer dans les pavillons hors des limites de la ville.
Reconversion grâce aux nouvelles technologies
De 1975 à 1985, la grande majorité des aciéries de la ville mirent un terme à leur activité, entraînant dans leur chute une grande partie du tissu économique local. "Au tournant des années 1980, on peut dire que la situation de la ville était extrêmement critique." Thomas Murphy, maire démocrate de Pittsburgh de 1994 à 2006, se souvient de l’époque lors de laquelle, suite aux chocs pétroliers des années 1970, l’essentiel du secteur de l’acier de la ville commença à perdre de sa superbe : "Pittsburgh a perdu plus ou moins la moitié de sa population entre 1970 et 1990 à cause de la fermeture des aciéries." La ville s’est donc mise en recherche d’une stratégie de survie, menant à ce que les spécialistes dépeignent comme la "seconde renaissance" de l’histoire de Pittsburgh. "Lorsque j’ai commencé mon premier mandat, nous nous sommes efforcés de construire une vision pour la ville sur le moyen terme", rappelle l’ancien édile, "et ce malgré le fait d’avoir à disposition des moyens considérablement réduits". La ville a alors commencé à racheter nombre de terrains en friche et s’est mise à la recherche de partenaires privés pour les redynamiser : "Nous avons en outre décidé que les universités locales (Carnegie Mellon et l’université de Pittsburgh) seraient les moteurs du futur économique de la ville. Et cette ambition est devenue réalité." Après la période sombre de la fermeture des aciéries, de nouvelles opportunités de croissance économique se sont en effet matérialisées dans le secteur de la santé et de l’innovation technologique.
Carnegie Mellon est devenue une référence mondiale en matière d’informatique et d’intelligence artificielle, quant à l’université de Pittsburgh, son centre médical de pointe rayonne aujourd’hui dans toute la région et en a fait le plus grand employeur privé de la ville, position anciennement détenue par… US Steel, le géant américain de l’acier, dont le nom ornait autrefois le bâtiment occupé aujourd’hui par le centre médical.
Les deux universités participent d’ailleurs indirectement à la mise sur pied d’entreprises privées qui sont devenues à leur tour les moteurs de l’économie locale. "Autrefois, les individus allaient là où du travail était proposé, mais le paradigme a changé aujourd’hui", indique Chris Briem. "Désormais, dans des cas comme celui de Pittsburgh, ce sont les entreprises qui se déplacent là où se trouvent les "cerveaux", et investissent pour eux dans des filiales ou des centres de recherche." C’est notamment le cas d’Amazon, d’Apple, de Google ou d’Uber, qui fait rouler en ville ses véhicules autonomes dont les actionnaires espèrent qu’ils seront le moteur de la croissance de demain.
Pittsburgh semble avoir réussi sa métamorphose. La stratégie des décideurs locaux face à la déroute inéluctable de l’industrie locale a payé, et la ville présente aujourd’hui des indicateurs de qualité de vie la plaçant tout en haut des classements des villes américaines les plus accueillantes en la matière, et ce malgré sa taille moyenne en termes de population (350 000 habitants). Comme le conclut Joel Tarr, du département d’histoire de l’université Carnegie Mellon, "nous avons désormais tout en main pour consolider cette position d’avant-garde, et tirer profit de la désaffection qui touche les villes de grande taille comme New York ou Los Angeles, en offrant aux nouveaux arrivants des standards de bien-être ainsi qu’une offre culturelle presque inégalés dans le pays".