Comment une jeune Américaine, pourtant paralysée à l'âge de cinq ans, est miraculeusement devenue l'athlète la plus rapide de l'Histoire
Wilma Rudolph, jeune Afro-Américaine née en 1940 dans le Tennessee, est touchée par la poliomyélite, une maladie infantile particulièrement infectieuse, à l'âge de cinq ans. Le diagnostic des médecins est formel : sa jambe gauche étant paralysée par la maladie, Wilma ne pourra plus jamais marcher. C’était sans compter sur le courage et la détermination de la jeune femme, qui recouvrera finalement l’entièreté de ses capacités motrices à l’adolescence. En 1960, après plusieurs années intenses d’entraînement, Wilma Rudolph raflera même trois médailles d’or aux Jeux Olympiques de Rome et deviendra "la femme la plus rapide de l’Histoire". Dans le cadre de son dossier "Il était une fois", LaLibre.be revient sur le destin exceptionnel de "la Gazelle Noire", reine incontestée de l’athlétisme et pionnière de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis.
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Publié le 03-10-2021 à 12h04 - Mis à jour le 03-10-2021 à 12h05
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"Les médecins m'ont dit que je ne pourrais plus marcher. Ma mère m'a dit que j'en serais capable. J'ai fait confiance à ma mère." Ainsi pourrait être résumée la détermination de Wilma Rudolph. Ce futur grand nom de l'athlétisme naît le 23 juin 1940 à Bethleem, un ghetto noir de la ville de Clarksville dans l'Etat américain du Tennessee. Vingtième enfant d'une famille de vingt-deux, fille d'un porteur de bagages et d'une femme de chambre, cette jeune Afro-Américaine grandit dans un milieu modeste. Au-delà de la pauvreté, l'enfance de Wilma est également marquée par le racisme. A l'époque, alors que la seconde guerre mondiale fait rage Outre-Atlantique, l'Etat américain du Tennessee, berceau du Ku Klux Klan, est en effet régi par les lois ségrégationnistes de "Jim Crow".
En 1945, alors seulement âgée de cinq ans, Wilma contracte la poliomyélite, une maladie infantile hautement infectieuse pouvant entraîner d'importantes séquelles paralytiques. Déjà affaiblie par une double pneumonie et la scarlatine, l'enfant survit miraculeusement à la polio, mais sa jambe gauche en fait les frais : elle est paralysée. Les médecins sont formels : elle ne pourra plus jamais faire usage de sa jambe et remarcher normalement.
En raison de la ségrégation raciale qui règne à l'époque, Wilma ne peut être soignée dans l'hôpital de sa ville natale de Clarksville, réservé aux Blancs. Deux fois par semaine, sa mère et elle parcourent inlassablement 80 km en bus afin de rejoindre l'hôpital communautaire de Nashville, où la jeune fille, munie d'une prothèse métallique à la jambe gauche, reçoit les traitements nécessaires à sa guérison. En parallèle, la famille de Wilma prodigue quotidiennement des soins à la jeune malade. Les grands frères de Wilma, entre autres, maîtrisent rapidement différentes techniques de massage afin d'apaiser les douleurs de leur petite sœur. Petit à petit, les traitements font leur effet et la condition de Wilma s'améliore. Elle réapprend à se déplacer, et à l'âge de 11 ans, parvient à marcher sans prothèse ni chaussure orthopédique.
Le sport comme échappatoire
Afin de renforcer sa jambe, et compenser des années frustrantes d'alitement forcé, Wilma s'investit corps et âme dans le sport. A la Burth High School de Clarksville, le collège entièrement réservé aux Noirs qu'elle fréquente, Wilma suit les traces de sa sœur Yvonne et rejoint l'équipe de basketball. Très vite, son talent la propulse au rang de meilleure joueuse de l'équipe. En une seule saison, la jeune basketteuse inscrit 803 points, un record national chez les collégiennes. Sa rapidité et sa vivacité lui valent le surnom de "Skeeter" ("Moustique" en français, ndlr) et intriguent l'élite sportive du Tennessee. A l'âge de 14 ans, elle est repérée par Ed Temple, coach d'athlétisme à la Tennessee State University, qui l'invite à s'entraîner avec l'équipe universitaire, les renommées "Tigerbelles".

Après avoir fait ses preuves dans différentes compétitions locales d’athlétisme, en ayant notamment brillé dans les épreuves de sprint, Wilma Rudolph est sélectionnée avec l’équipe féminine américaine du 4x100m pour les Jeux Olympiques de Melbourne en 1956. Alors tout juste âgée de 16 ans, la jeune femme décolle pour l’Australie, où elle monte finalement sur la troisième marche du podium avec ses compatriotes, derrière la Grande-Bretagne et l’équipe hôte. Une première médaille olympique qui présage une suite de carrière radieuse.
De retour aux Etats-Unis, la jeune athlète termine ses études secondaires avec brio avant de logiquement rejoindre la Tennessee State University en 1958, où le coach Ed Temple continue d'être son mentor. En 1959, Wilma Rudolph participe à une compétition nationale au Texas, où elle bat le record du monde du 200m en descendant pour la première fois sous la barre des 23 secondes (22.9), un record qui tiendra huit ans. Ses impressionnantes performances, tant sur le 100m que sur le 200m, lui permettent de se qualifier pour les JO de Rome de 1960.
La consécration
Les Olympiades de Rome représentent l’apogée de la carrière de Wilma Rudolph. Au sommet de son art, l’athlète afro-américaine rafle trois médailles d’or respectivement sur le 100 mètres, le 200 mètres et le 4x100 mètres, devenant ainsi la première Américaine à glaner trois titres olympiques au cours d’une seule édition des Jeux.


Les breloques dorées ne lui suffisant pas, Wilma Rudolph s’approprie également plusieurs records. Avec l’équipe américaine, elle bat le record du monde du 4x100 en 44.4 secondes au cours des demi-finales. En solo, elle s’adjuge le temps olympique sur 200 mètres (23.2 secondes) et explose le record du monde du 100 mètres en terminant son sprint en seulement 11 secondes - un temps qui ne sera finalement pas homologué en raison d’un vent jugé « trop puissant » durant la course.

La domination de Rudolph sur toutes les épreuves du sprint lui vaut une reconnaissance internationale. Avec d’autres athlètes, tels que Cassius Clay ou Oscar Robertson, elle est la vedette incontestable de ces Jeux Olympiques, première édition retransmise en télévision. Elle devient la coqueluche des médias du monde entier, qui la saluent comme "la femme la plus rapide de l’Histoire". Surnommée "la Tornade", "la Gazelle noire" ou encore "la Perle noire", Wilma Rudolph inspire les athlètes des quatre coins du globe par son parcours atypique et devient un véritable modèle pour les sportives afro-américaines, jusqu’alors très peu représentées dans les compétitions internationales.
Combat social
En dehors des pistes d’athlétisme, Wilma Rudolph se distingue par les combats qu’elle mène sur le plan social, notamment dans la lutte contre le racisme. A son retour de Rome, la sportive est accueillie en véritable héroïne aux Etats-Unis. En octobre 1960, le gouverneur du Tennessee Bufford Ellington désire organiser une fête afin de célébrer le triomphe de l’athlète. En ces temps ségrégationnistes, les festivités ne sont destinées qu’à recevoir les Blancs de Clarksville. Férocement opposée à ce projet, Wilma Rudolph met la pression sur les autorités locales afin d’organiser des célébrations ouvertes à tous. Le "Welcome Wilma Day" deviendra ainsi le premier événement de la ville rassemblant Noirs et Blancs sans distinction.
Ses succès sportifs et son combat contre la discrimination raciale vont jusqu’à impressionner le président américain John F. Kennedy, fervent défenseur de la déségrégation, qui l’invitera au Bureau Ovale pour une réunion privée en avril 1961.

Seulement deux ans après son triplé olympique à Rome, Wilma Rudolph se retire contre toute attente de la compétition et refuse de participer aux JO de 1964. Et ce malgré un nouveau record du monde glané sur le 100 mètres, à Stuttgart. "Si je gagnais deux médailles d'or, il y aurait un manque. Je m'en tiendrai à la gloire que j'ai déjà obtenue", se justifie humblement l'athlète.
En 1963, désormais affranchie de ses obligations sportives, l'ex-athlète termine ses études à la Tennessee State University et obtient un diplôme en pédagogie. Elle s'investit alors dans l'enseignement, tout en continuant à mener différentes batailles pour davantage d'égalité. En mai de la même année, la sportive participe à plusieurs manifestations dans sa ville natale de Clarksville afin de mettre un terme à la ségrégation dans les restaurants. Des revendications qui seront entendues par le maire de la ville: il annoncera quelques semaines plus tard la fin de la ségrégation raciale dans tous les établissements publics de Clarksville.
En parallèle de son poste d'institutrice, Wilma Rudolph consacre le restant de ses jours à des associations à but non lucratif et des projets parrainés par le gouvernement afin de soutenir le développement des jeunes sportifs américains. En 1981, elle fonde sa propre organisation à Indianapolis, la Wilma Rudolph Foundation, qui œuvre à la promotion de l'athlétisme.
Une empreinte intemporelle
Après s’être battue contre un foudroyant cancer du cerveau, Wilma Rudolph décède le 12 novembre 1992 à l’âge de 54 ans, laissant derrière elle un héritage intemporel. Ses titres olympiques ainsi que ses multiples récompenses - sportive de l’année en 1960 et 1961, prix national du sport en 1993 ou encore intronisation au "Hall of Fame" du sport américain – ont définitivement marqué l’histoire de l’athlétisme. Mais au-delà du sport, Wilma Rudolph a gravé les esprits par l'espoir qu'elle a insufflé aux athlètes afro-américaines en devenant une véritable pionnière des droits civils et des droits des femmes.

"Le triomphe ne peut être obtenu sans lutte. Et je sais ce qu'est la lutte. J'ai passé ma vie à essayer de montrer ce que cela signifie d'être une des premières femmes noires dans le monde du sport, afin que d'autres jeunes femmes aient une chance de réaliser leurs rêves", résumera parfaitement l'athlète dans le Chicago Tribune peu avant sa mort.