En Haïti, les zombies existent et posent problème à la société
Les zombies existent-ils réellement ? En Haïti, oui. Mais les cas recensés ne ressemblent pas exactement à ceux que l’on croise au cinéma… Dans le cadre de son dossier "Il était une fois", LaLibre.be revient sur ce phénomène inquiétant.
Publié le 10-10-2021 à 12h00 - Mis à jour le 22-03-2022 à 09h14
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Les zombies font leur apparition dans la culture populaire occidentale en 1932, avec le film « White Zombie » de l'Américain Victor Halperin. Petit à petit, ils commencent à apparaître un peu partout : du clip « Thriller » de Michael Jackson à la série « Walking Dead », en passant par « Scooby-Doo » ou plus récemment « Zombie Child ». Sorte de morts-vivants, agressifs et mangeurs d'hommes, ils sont surtout très contagieux. Un homme mordu par un zombie devient à son tour un zombie, selon la culture populaire. Mais ces histoires de morts-vivants ne sortent pas de l'imaginaire des réalisateurs de films et de séries. Il semblerait plutôt qu'elles tirent leur origine de faits réels, romancés ensuite. Les zombies existent bel et bien, ou plutôt les « zonbi », comme on l'écrit en créole haïtien.
En Haïti, les zonbi ne sont pas des morts-vivants tels que le cinéma les représente. Le mot zonbi désigne des personnes qui ont perdu toute forme de conscience et d’humanité. Ce sont des citoyens qui ont causé du tort à la société ou à une personne en particulier. Pour les empêcher de recommencer, on les zombifie.
Cela se déroule en plusieurs temps. La personne ciblée est tout d’abord empoisonnée avec une substance bien particulière produite par le poisson-globe, la tétrodotoxine. Absorbée à haute dose dans l’organisme, celle-ci provoque un ralentissement des fonctions vitales et, combinée à d’autres ingrédients, plonge la victime dans un état léthargique. Pour que la personne visée ingère cette substance, les commanditaires de l’empoisonnement rivalisent d’ingéniosité.

En général, le poison est glissé dans les chaussures de la personne visée, ou étalé sur les accoudoirs d’une chaise. Le mélange toxique contient également une substance urticante. Ainsi, en se grattant, la victime permet au poison de pénétrer plus facilement dans son organisme. Une fois contaminée, elle tombe en quelques heures ou jours dans un état de mort apparente, à tel point qu’elle est déclarée décédée. Un certificat de décès est établi, et la victime est ensuite enterrée, totalement consciente mais incapable de réagir.
Mais ce n’est que quelques heures plus tard que la zombification prend vraiment tout son sens. Déterré par les commanditaires et « réveillé » grâce à un remède tenu secret, le zonbi passe d’un état léthargique à un état apathique. Ses « gourous » peuvent alors en faire ce qu’ils veulent, à condition de maintenir cet état.
Le célèbre cas de Clairvius Narcisse
Bien que des chiffres précis manquent, cette expérience a vraisemblablement été vécue par des milliers de personnes en Haïti depuis le 16e siècle, lorsque des esclaves africains ont amené avec eux leurs croyances, dont le vaudou. Parmi les cas étudiés, Clairvius Narcisse reste sans aucun doute le zonbi le plus célèbre de l’histoire récente.
Décédé en 1962, il réapparaît 18 ans plus tard à Port-au-Prince. Certains disent qu’il errait dans les rues de la capitale et a été arrêté par la police, d’autres qu’il s’est présenté à sa sœur, qui l’a directement reconnu malgré l’invraisemblance de la situation. L’homme connaissait des choses sur la famille Narcisse que seul Clairvius pouvait connaître. Et ce dernier raconte alors son histoire à qui veut bien l’entendre.
Une histoire qui a attiré des scientifiques, sociologues et anthropologues des quatre coins de la planète. Mais aussi des journalistes, comme le Français Jacques Pradel, intrigué en 1980 par une dépêche de l'AFP à Port-au-Prince, faisant état de la découverte d'un zombie dans la capitale haïtienne. Le journaliste d'investigation s'est alors rendu sur place afin d'en apprendre davantage. Il y a rencontré Clairvius Narcisse et Lamarque Douyon, le médecin qui travaillait sur son cas dans une clinique spécialisée de Carrefour (Port-au-Prince). « Lamarque Douyon avait vérifié l'histoire de Clairvius Narcisse, en allant notamment à la rencontre de sa famille et voir sa tombe – profanée – au cimetière de Deschapelles (nord d'Haïti, ndlr) », explique Jacques Pradel en juillet 2014 dans son émission « Les aventuriers de l'impossible ». Le reporter a aussi été conduit à l'hôpital américain de Deschapelles, où Clairvius Narcisse a été admis et déclaré mort le 3 mars 1962. « Le bilan indiquait 'troubles digestifs, perte de poids rapide, problèmes respiratoires, hypothermie, œdème du poumon, tension artérielle extraordinaire', etc », détaille Jacques Pradel, qui a eu accès au dossier de Clairivus Narcisse, dont le décès a été constaté par un médecin américain et un officier de l'état civil.
Au journaliste français, le « zonbi » a raconté qu'il se souvenait avoir eu une sorte de malaise au moment de sa mort présumée. Enterré rapidement, Clairvius Narcisse a senti son cercueil bouger quelques heures plus tard, puis a été sorti de sa tombe par des « sbires vaudous » qui l'ont réveillé grâce à un antidote. « Emmené dans un endroit inconnu, il s'est retrouvé à travailler comme esclave sur une plantation de canne à sucre, où il était nourri une fois par jour et maintenu dans cet état de dépendance par un cocktail de drogues. Mais c'était un colosse, les doses de drogue n'étaient pas suffisantes pour lui », narre encore Jacques Pradel, auquel Narcisse a raconté qu'après une révolte des zonbi dans la plantation, le prêtre vaudou qui les retenait prisonniers a été tué. « C'est comme cela qu'il a recouvré la liberté ». Ce fameux zonbi a ensuite vécu une « deuxième vie », avant de (réellement) mourir en 1994.

Les zombies, des esclaves modernes
La zombification est une pratique liée à l’histoire de la société haïtienne et à ses croyances, comme le vaudou, considéré dans le pays comme une religion à part entière. Le bokor, celui qui organise l’empoisonnement d’une personne, est un prêtre vaudou, et la zombification s’accompagne de rituels vaudous.
« La peine capitale du vaudou, c'est la zombification », résume Jacques Pradel. Car les sorciers vaudous qui zombifient des humains cherchent en réalité à faire justice eux-mêmes. Si parfois ils aident une famille ou un citoyen lambda à se venger d'un proche, ils punissent également des hommes ayant causé du tort à la communauté, comme des voleurs, des violeurs, des profiteurs, etc.

La situation économique et politique du pays rend le système judiciaire lent et parfois inefficace, c'est pourquoi des sociétés secrètes organisent une sorte de justice parallèle pour sanctionner les malfaiteurs et les exclure de la société. « Avant de les zombifier, la société secrète les prévient plusieurs fois en disant 'Si tu ne t'arrêtes pas, il va t'arriver quelque chose de pire que la mort'. La zombification est effectivement pire, car la victime vit sa propre mort mais continue aussi de survivre sans aucun libre arbitre », explique dans une bande dessinée intitulée « Les Zombies » Philippe Charlier, un médecin légiste qui a étudié le phénomène de zombification en Haïti et écrit un livre sur le sujet.
« Les zonbi sont de nouveaux esclaves », ajoute le médecin-anthropologue dans un entretien avec L'Obs, mettant en lumière un lien important entre l'histoire d'Haïti et le phénomène de zombification. Si le but initial n'est pas de créer des esclaves, « le bokor se rembourse en utilisant ces zonbi comme aides ménagères, gardes d'enfants, ou travailleurs dans les plantations ».
Tout comme les esclaves, les zonbi sont en fait « dépersonnifiés », car une fois sortis de leur tombe, ils perdent leur identité. On les renomme et les nourrit comme des esclaves. « Le zonbi perd tout ce qui fait de lui un être humain, et le maître (ici le bokor, ndlr) a le pouvoir absolu sur lui. Il a perdu l'un des éléments spirituels qui dirigent son corps, la volonté. On voit bien se profiler là derrière l'image de l'esclavage », souligne Laënnec Hurbon, anthropologue, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'université d'Etat de Port-au-Prince, interviewé dans le podcast « La mort vivante » de France Culture.
Le chercheur haïtien explique qu'après l'affranchissement de son pays en 1804, le grand leader de l'indépendance Jean-Jacques Dessalines a demandé au peuple d'occulter complètement la période d'esclavage qu'il venait de vivre. « Il fallait détruire toutes les traces, oublier l'humiliation que cela représente », raconte Laënnec Hurbon. Mais cet oubli radical est-il possible ? Non, selon l'anthropologue, qui voit dans la pratique de la zombification le revers de ce refoulement de l'histoire du pays, le retour du « fantasme de l'esclavage ». « Les traces de cette période restent, quoi que l'on veuille ».

Aujourd’hui, Haïti peine à se débarrasser de la pratique de zombification. En 1997, une étude menée par Roland Littlewood, anthropologue de l’University College de Londres, et le docteur Chavannes Douyon (Polyclinique Medica de Port-au-Prince) publiée dans la revue The Lancet faisait état de 1.000 cas de zombification par an dans le pays. Le phénomène est si important qu’un article du code pénal haïtien lui est dédié, le condamnant.
Un gros problème se pose également pour l’État haïtien : la réinsertion de toutes ces personnes qui réapparaissent après leur décès. Ces zombies sont officiellement morts aux yeux de la société, un acte de décès ayant été rédigé à leur nom. Il y a trois ans d’ici, l’État travaillait sur un « acte de réapparition ».