Carte SD dans un sandwich, échanges involontaires avec le FBI... L'opération rocambolesque d’un espion au sein de la Marine américaine
Un ingénieur a livré des secrets sur la propulsion nucléaire.
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Publié le 11-10-2021 à 21h02 - Mis à jour le 11-10-2021 à 23h21
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On n'a jamais parlé autant de sous-marins que ces dernières semaines. Après la crise diplomatique provoquée par l'annulation d'un contrat de livraison entre la France et l'Australie, puis l'étrange collision entre le sous-marin USS Connecticut et un objet non identifié en mer de Chine révélée jeudi dernier, c'est à présent une histoire d'espionnage digne de la guerre froide qui défraie la chronique aux États-Unis. À ceci près que le bénéficiaire des informations secrètes pourrait être, non pas un adversaire de Washington, mais un pays ami, croit savoir la presse américaine.
Jonathan Toebbe, un ingénieur nucléaire de 42 ans travaillant pour la Marine américaine, et son épouse, Diana, 45 ans, ont été arrêtés samedi par le FBI en Virginie, alors qu'ils déposaient un paquet - le troisième et dernier - à l'intention du représentant d'une puissance étrangère. Celle-ci n'est pas identifiée dans le dossier judiciaire qui a été rendu public dimanche. Accusé d'avoir violé l'Atomic Energy Act de 1954, le couple doit comparaître pour la première fois devant un juge ce mardi, à Martinsburg, en Virginie-Occidentale.
Technologie de pointe
On sait que c’est en décembre 2020 que le FBI s’est trouvé en possession du premier des trois paquets destinés par les Toebbe à ce pays auquel ils entendaient transmettre des informations classées top secret sur la technologie de propulsion nucléaire des sous-marins de la classe Virginia - la dernière génération de sous-marins nucléaires américains, mise en service en 2004. C’est précisément cette technologie sophistiquée qui est au cœur de l’accord passé, il y a peu, entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.
On sait aussi que le paquet est parvenu dans le pays en question en avril 2020. On ignore, en revanche, si le FBI l’y a intercepté ou s’il lui a été remis. On ignore tout autant pourquoi le FBI n’est intervenu que huit mois plus tard. Toujours est-il qu’à ce moment Jonathan Toebbe, sciemment aidé par son épouse, a traité avec un agent du FBI en croyant avoir affaire à un représentant du pays sollicité.
L’imprudence de Toebbe, sinon sa naïveté, n’a pas manqué de frapper les enquêteurs. L’ingénieur s’est, certes, un peu méfié au départ - il a exigé le versement de 100 000 dollars en cryptomonnaie pour, dira-t-il, établir une confiance mutuelle (la somme lui sera versée en trois fois, à chacune des remises de documents). Il organisa aussi, avec son correspondant, un mode de communication codé très élaboré.
Un sandwich bien garni
Toutefois, l’espion fera parvenir le matériel - sous forme de cartes mémoires informatiques - en le déposant en des lieux qui pouvaient être facilement observés. Qu’il ait dissimulé ces cartes SD tantôt dans un sandwich, tantôt dans un paquet de chewing-gums ne rend rétrospectivement l’opération que plus rocambolesque.
Le procès devra déterminer si les Toebbe ont agi par idéalisme ou par goût du lucre. Dans ses échanges avec l'agent du FBI, l'ingénieur justifie la demande d'argent par le "danger mortel" que sa trahison lui fait courir. Il évoque la possibilité pour le couple, s'il devait être démasqué, d'obtenir l'asile dans le pays concerné, et dit avoir mis de l'argent de côté à cette fin. La démarche n'en reste pas moins étonnante de la part d'un expert qui travaillait depuis 2012 sur les systèmes de propulsion nucléaire et fut un temps employé dans les bureaux des plus hauts gradés de la Marine américaine.