Documents cachés dans ses parties intimes, fausse identité, mystérieuse ferme...: comment une jeune fille a été amenée à traquer les terroristes
Auteure, conférencière, journaliste, réalisatrice de documentaires Netflix et épouse d’un héritier de la famille Kennedy, Amaryllis Fox est une personnalité publique en Amérique. Régulièrement invitée sur les plateaux américains pour parler de ses livres, de ses projets caritatifs et de ses convictions pacifistes, cette jolie blonde à l’allure de la jet-set californienne a pourtant passé une grande partie de sa vie dans l’obscurité. Alors qu’elle était encore étudiante, la jeune fille de bonne famille se lance dans une existence dangereuse, solitaire et schizophrénique pour le compte de la CIA. Dans le cadre de son dossier « Il était une fois », La Libre revient sur le parcours de cette ancienne espionne chargée de traquer les réseaux terroristes et le trafic d’armes nucléaires.
Publié le 29-01-2023 à 12h00
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Washington, 1999. Âgée de 19 ans, Amaryllis Fox est diplômée depuis peu. La jeune femme a tout pour elle mais la fin de ses études réveille en elle un ennui profond. Lasse de sa vie bourgeoise et bien rangée, elle se convainc que plus rien ne la retient et qu’elle peut désormais quitter sa prison dorée pour partir explorer ce monde qu’elle a tant de mal à comprendre. C’est ainsi qu’elle décide de troquer l’argent censé payer sa robe de bal contre un ticket d’avion à destination de la Thaïlande.
C’est dans un camp de réfugiés birmans situé à la frontière avec le Myanmar que la jeune femme atterrit. Très sensible aux événements géopolitiques depuis le décès de sa meilleure amie dans l’attentat de Lockerbie en 1988 (le 21 décembre, un Boeing 747 partant de Londres pour New York explose au-dessus du village de Lockerbie en Ecosse, tuant les 243 passagers et 16 membres d'équipage), Amaryllis a développé un intérêt particulier pour les zones de conflit et plus particulièrement pour la situation au Myanmar. Subjuguée par Aung San Suu Kyi, devenue Prix Nobel de la paix en 1991 pour son combat contre la dictature militaire, Amaryllis ne tarde pas à se lier d’amitié avec des opposants reliés à la cause de celle qu’on surnomme « L’Orchidée de fer ».
Nourrissant l’ambition de devenir journaliste, la jeune femme se laisse convaincre par les dissidents d’entrer en Birmanie pour rendre compte de la mobilisation anti-junte et enregistrer clandestinement une interview d’Aung San Suu Kyi, alors assignée à résidence. Fox est alors mise en contact avec le mouvement démocratique qui organise secrètement la rencontre. Archétype de la belle blonde occidentale au visage angélique, Amaryllis est crédible dans son rôle d’épouse de riche homme d’affaires et parvient à se faufiler sur le territoire interdit aux touristes et à la presse internationale.
Consciente des risques qu’elle encourt et d’une possible détention, Amaryllis suit le précieux conseil d’Aung San Suu Kyi : « Pour les écrits que vous voulez vraiment garder, la nature vous a doté d’une cachette idéale. Les toilettes sont au bout du couloir, à gauche. » (*) Les documents cachés dans son vagin, la jeune femme réussit à quitter le territoire malgré son arrestation par le gouvernement militaire. L’intégralité des documents est ensuite diffusée par la BBC. Inspirée par le courage des Birmans à « divulguer une vérité plus puissante que la force militaire », Amaryllis perçoit ce voyage comme une expérience décisive dans son cheminement personnel.

« Agent d'élite » qui traque Al-Qaïda et ses réseaux terroristes pour la CIA
De retour aux Etats-Unis, Amaryllis repart assez vite à l’étranger pour entamer des études de droit international à Oxford. Connue pour son exploit au Myanmar et ses notes remarquables, l’étudiante est approchée par le service de renseignement étranger du Royaume-Uni mais elle décline l’invitation. Poursuivant d’autres idéaux, la jeune femme qui déprime ne souhaite qu’une chose : retourner en Thaïlande après la fin de ses études. Mais les attentats du 11 septembre 2001 viennent bouleverser ses plans. Amaryllis qui a déjà été touchée personnellement par des attaques terroristes est complètement anéantie.
Comme des millions d’Américains, la jeune femme assiste face à sa télévision au discours de Georges W. Bush devant le Congrès. Galvanisé par une foule déjà ralliée à sa cause, le président s’adresse au peuple américain avec une rhétorique de guerre. « Notre peine s’est transformée en colère et notre colère en détermination. Que nous livrions nos ennemis à la justice ou que nous fassions justice nous-mêmes, justice sera faite. » Ébranlée par les applaudissements et les hommages rendus aux nombreuses victimes, Amaryllis remet en question son projet de retourner en Thaïlande et décide d’entamer un master de spécialisation sur le terrorisme à l'Université de Georgetown à Washington, DC.
Toujours aussi brillante, elle décide pour son mémoire de fin d’études de développer un algorithme capable de localiser les futurs foyers terroristes en identifiant les facteurs qui amènent un groupe d’humains à s’engager dans cette voie. La jeune femme rassemble alors deux cents ans de données historiques liées à des activités terroristes telles que le nombre d’écoles coraniques et le seuil de pauvreté dans des régions spécifiques. Ambitieux, le mémoire attire l’attention d’un officier de la CIA qui demande à la rencontrer.

Lors du rendez-vous, l’officier demande à Amaryllis ce qui l’a motivée à entreprendre une telle étude. A sa réponse, « Comprendre plutôt que d’être dépassée par la peur », l’homme répliquera « La CIA aussi ». Cette fois, la jeune femme de 22 ans accepte la collaboration. Toujours étudiante, elle signe un poste à l’essai en poursuivant ses études. Elle ne parle à personne de son activité. Pour tout le monde, elle fait de la consultance à l’international.
Dès qu’elle est diplômée, la CIA l’engage. Elle gravit les échelons et est rapidement amenée à s’entraîner sur le terrain pour devenir un « agent clandestin ». Elle devient la plus jeune femme à intégrer ce service.
« Il y a des livres et des films à propos de ça. Mais rien ne vous y prépare vraiment. L’entraînement a lieu à ‘La Ferme’. C’est une ancienne base qui a été rénovée pour ressembler à un pays étranger. Il y a une fausse ambassade, un faux parc municipal. Vous jouez le rôle d’un nouvel agent. C’est comme si on était des acteurs. Vous vivez en permanence dans une fiction. Petit à petit, les opérations et les menaces s’intensifient jusqu’à ce que vous pensiez que c’est réel. »
Faisant désormais partie de l’élite de l’agence, elle est assignée à une « couverture non officielle » et est envoyée en Indonésie sous une fausse identité et sans aucune protection diplomatique pour surveiller le groupe islamiste Jemaah Islamiyah responsable d’un attentat qui a fait 200 morts dans une boite de nuit à Bali en 2002. Se faisant passer pour une marchande d’art spécialisée dans les œuvres ethniques, Amaryllis enchaîne les missions en Asie et au Proche-Orient afin de se renseigner sur les activités d’Al-Qaïda et leurs associés mondiaux. Elle tente d’approcher les combattants du camp adverse en vue d'un possible recrutement en tant qu'informateurs, notamment pour surveiller le trafic d’armes atomiques, biologiques et nucléaires.
Pendant des années, la jeune femme mène une existence dangereuse, solitaire et schizophrénique pour le compte de la CIA. Persuadée d’agir en tant que bonne patriote, elle accepte de sacrifier sa vie sociale et sentimentale et se contente de satisfaire les exigences de l’agence. Mais elle découvre avec effroi que des personnes désignées coupables sans aucun processus de vérification sont soumises à des pratiques de torture. Cette face cachée du renseignement la bouscule dans ses convictions. La naissance de sa fille l’amènera finalement à travailler autrement jusqu’à remettre sa démission à la CIA en 2010.
« Quand j’ai commencé, pour moi, il fallait oblitérer et tuer l’adversaire. J’avais ce double traumatisme avec les attentats du 11 septembre et celui de Lockerbie dans lequel j’ai perdu ma meilleure amie. Il fallait complètement détruire l’ennemi. Mais petit à petit, au fil de ma carrière, je me suis rendu compte que ce n’était pas vrai. C’est de la fiction. On ne peut pas détruire des adversaires. Et en fait on en créé plus qu’on en détruit. Il faut construire des relations et trouver des points communs. En réalité, le travail d’espion est beaucoup plus une bataille émotionnelle que physique. »

Journaliste pacifiste et people
Aujourd'hui, Amaryllis Fox a changé de vie. Vivant désormais à Los Angeles, l'ancienne espionne s’est remariée à Robert Kennedy III. Conservant son intérêt pour les conflits, elle est journaliste et s’intéresse entre autres aux entreprises qui s’enrichissent en temps de guerre. Elle tourne également des documentaires sur les facettes économiques et politiques des différentes drogues. Sa mini- série « The Business of Drugs » diffusée sur Netflix en 2020 cherche notamment à ouvrir une réflexion sur la légalisation de certaines drogues en brisant les clichés manichéens.
Intervenant également auprès des gangs et des camps de réfugiés dans les zones de guerre, la journaliste s’attelle à démontrer que la réalité du terrain est bien plus complexe que le carcan moral véhiculé par les puissants de ce monde. Façonnée par ses fortes expériences de vie, Amaryllis Fox est persuadée que la paix se construit en faisant dialoguer les gens qui se détestent. C’est d’ailleurs le message qu’elle tente de véhiculer à travers ses mémoires, « Undercover, avoir 20 ans à la CIA » (Ed. JC Lattès) et ses nombreuses conférences.
*Les citations sont reprises de plusieurs interviews