Exit “Sleepy Joe”, avec son discours sur l’état de l’Union Biden a rassuré ceux qui doutaient de ses capacités à remplir un second mandat
On retiendra aussi de ce discours sur l’état de l’Union l’attitude de certains élus républicains, qui ont perturbé un événement traditionnellement placé sous le signe du respect et de la dignité.
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Publié le 08-02-2023 à 10h38 - Mis à jour le 08-02-2023 à 15h14
Plus que le discours de Joe Biden, qui a présenté mardi soir, devant les deux Chambres réunies du Congrès, le rituel “état de l’Union”, c’est l’attitude des parlementaires – ou de certains d’entre eux – qui est surtout révélatrice du climat politique à Washington. Alors que l’exercice est traditionnellement empreint de dignité, en raison du respect dû à la fonction présidentielle indépendamment de celui qui l’exerce, on retiendra le brouhaha, semé de cris et d’invectives, qui l’a perturbé cette année, loin des désapprobations feutrées normalement attendues et admises de la part de l’opposition.
Ces écarts de conduite ont été principalement le fait des élus républicains radicaux (pour la plupart des inconditionnels de Donald Trump que l’on a surnommés “MAGA” en référence au slogan de l’ancien Président, “Make America Great Again”). Parmi eux, la députée controversée de Géorgie Marjorie Taylor Greene s’est distinguée en se levant plusieurs fois pour crier “Menteur !” à l’adresse de Joe Biden – une accusation qui devrait prêter à sourire venant d’une complotiste championne de la désinformation. Elle est la première élue à interrompre ainsi le chef de l’exécutif depuis 2009, quand le sénateur républicain de Caroline du Sud Joe Wilson avait lui aussi reproché haut et fort à Barack Obama de mentir.
Un Parti républicain pris en otage
À l’époque, cette sortie avait valu à Wilson une réprimande – mais la Chambre des représentants et le Sénat étaient alors contrôlés par les Démocrates. Cette fois, l’incorrection de Greene risque d’autant moins d’être sanctionnée que son soutien et celui de ses coreligionnaires ont été décisifs pour permettre à Kevin McCarthy d’obtenir, non sans mal, le poste de “speaker” de la Chambre dont il rêvait. L’homme est d’autant plus l’otage de cette faction extrémiste que la majorité dont le Parti républicain jouit désormais à la Chambre est ténue – cinq sièges. Il ne peut se permettre aucune défection et on ne sera guère étonné d’apprendre qu’il avait invité Joe Biden à ne pas employer, dans son discours, l’expression “Républicains MAGA”.
Le Président a acquiescé et McCarthy, de son côté, s’est efforcé de faire bonne figure dans son nouveau rôle, restant la plupart du temps de marbre, applaudissant parfois Joe Biden – mollement – quand le propos faisait consensus, et réclamant en l’une ou l’autre circonstance le silence quand les Républicains vociféraient trop bruyamment contre les propositions du Démocrate sur les armes à feu ou l’immigration. Les critiques de Biden contre le creusement vertigineux de la dette par son prédécesseur ou contre les intentions de certains élus de limiter dans le temps les programmes sociaux ont, elles aussi, provoqué des remous.
Un Président résolument optimiste
On attendait le Président sur le fond et l’on a sans surprise entendu le discours résolument optimiste de celui qui, fort de sa riche expérience au Sénat, veut croire plus que jamais en la possibilité pour les deux grands partis de surmonter leurs divergences et d’œuvrer ensemble au bien commun. “J’ai signé plus de trois cents lois avec le soutien des deux partis depuis que je suis devenu Président”, a-t-il souligné, estimant que, si cela avait été possible avec le Congrès précédent, il n’y avait pas de raison qu’il en aille autrement avec celui-ci. Joe Biden a même eu droit à une ovation, d’un bord à l’autre de l’hémicycle, quand il a épinglé la législation adoptée pour réglementer les centres d’incinération de produits toxiques.
Mais le Président est aussi un candidat éventuel à sa propre succession – une candidature qu’il devrait annoncer dans les semaines à venir – et on l’attendait donc également sur la forme. Allait-il montrer de la confusion, trahir de la faiblesse, ne pas être à la hauteur, et suggérer ainsi qu’il ne serait pas capable, physiquement ou mentalement, de remplir un second mandat qu’il achèverait à l’âge sans précédent de 86 ans ? Son intervention avait été minutieusement préparée pour éviter les pièges : ces mots trop compliqués ou ces phrases trop longues qui feraient trébucher Joe Biden et projetteraient de lui une image désastreuse.
Un Joe Biden loin de “Sleepy Joe”
Le pire ne s’est pas produit, au contraire. Certes, le Président n’a pas pu éviter de bafouiller à certains moments, mais il a, dans l’ensemble, manifesté une présence et une vigueur qui ont convaincu dans son propre camp et peut-être au-delà, démentant le sobriquet de “Sleepy Joe” que Donald Trump lui avait collé à la peau. Il a sans doute tiré à lui la couverture, en interprétant avantageusement les statistiques économiques (sur l’emploi ou le commerce extérieur, par exemple), mais chaque président américain fait cela afin de conclure que “l’état de l’Union est très bon” – il n’y eut jamais que Gerald Ford, l’éphémère successeur de Richard Nixon, pour oser prétendre le contraire : un constat objectif au lendemain du Watergate, mais qui lui coûta sa réélection.
Aussi Joe Biden aura-t-il certainement réussi à rassurer ceux qui doutaient de ses capacités, et peut-être à les persuader qu’avec lui, l’Amérique est résolument “tournée vers l’avenir”. Il n’est pas jusqu’à Donald Trump qui n’ait exprimé, sur son réseau Truth Social, un rare compliment. “Je m’oppose à la majorité de ses politiques”, a-t-il écrit à propos de son rival, “mais il a mis des mots sur ce qu’il ressentait et a bien mieux terminé la soirée qu’il ne l’avait commencée”.