Aux couleurs d’une apocalypse orangée, New York suffoque sous les fumées toxiques des feux canadiens
La métropole américaine la plus peuplée a battu des records de pollution de l’air mercredi 7 juin, après la vague d’incendies qui frappe le Canada, et notamment le Québec.
- Publié le 08-06-2023 à 08h41
- Mis à jour le 08-06-2023 à 12h36
C’est le milieu de l’après-midi mercredi, et une nuit orangée s’est engouffrée dans l’appartement, comme dans tous les intérieurs new-yorkais avec fenêtres, repeints de la même pénombre mi-pisseuse mi-dorée qui épaississait depuis des heures déjà l’air au-dehors. «Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?», s’était-on littéralement exclamé la veille en fin de journée, face à la couleur et l’éclat étranges, dans un ciel enfumé, de ce qui s’est avéré être le soleil. Un soleil comme on n’en avait jamais vu jusqu’alors : plus boule de feu que jamais mais cerné par la grisaille d’un ciel de suie, du même orange vif et doré que les feux de circulation de la ville, et d’une netteté brûlante qui se laisse pourtant regarder en face, au filtre du smog, avec une fascination mêlée d’épouvante.

Dans l’après-midi mercredi, l’indice de pollution de l’air à New York s’est élevé à 484 (sur une échelle de 0 à 500), un pic jamais atteint par la ville depuis que l’agence fédérale de protection environnementale en a systématisé le suivi, en 1999. Pulvérisé, le précédent record local, établi en juillet 2002, était de 167. Il découlait alors comme aujourd’hui de feux de forêts au Canada, dont les émanations asphyxient depuis mardi une large part du nord-est américain.
Un brouillard au nuancier d’apocalypse
Des centaines de brasiers ont ainsi déjà ravagé plus de 3 millions d’hectares ce printemps – et notamment au Québec, frappé par quatre fois plus de feux que la moyenne de la décennie passée, dont 150 actuellement actifs – alors que débute précocement la saison des incendies. Celle-ci menace cette année de se déchaîner avec une intensité jamais vue, au regard à la fois de cet infernal démarrage et d’une sécheresse au long cours attisée par les dérèglements climatiques. Tandis que la majorité des Canadiens se préparent à faire face à un risque élevé de voir leur région tourner à la fournaise au cours des prochains mois, plus de 100 millions de Nord-Américains se trouvaient concernés mercredi par des alertes de santé publique relatives à une qualité de l’air considérablement dégradée, de Toronto jusqu’à Atlanta.
New York était, et devait rester jeudi encore, la grande ville la plus durement affectée, et même la plus polluée au monde selon iQair, très loin devant les habituées du podium que sont Dubaï et Lahore – mais le pire de la pollution concernait au même instant des zones moins densément peuplées et ainsi non prises en compte par ce classement, au Canada, en Pennsylvanie et au nord de l’Etat de New York. Divers experts scientifiques ont avancé qu’une journée à respirer l’air vicié de la métropole la plus peuplée du pays (8 millions d’habitants) équivaudrait à l’inhalation d’une demi-douzaine de cigarettes.
L’imposante plantation de gratte-ciel de Manhattan s’est donc par intermittence dérobée aux regards lancés depuis les ponts et les rives de Brooklyn, du Queens et du New Jersey, tout bonnement engloutie dans la pâte d’un brouillard toxique au nuancier d’apocalypse. Au fil des heures, on a fermé les bibliothèques, les zoos, des écoles. Les rues se sont vidées peu à peu, les essaims de livreurs et les passants de plus en plus rares revêtant pour la plupart des masques – la pandémie de Covid est passée par là, et la gouverneure de l’Etat, Kathy Hochul, a annoncé la mise à disposition sur le champ d’un million de FFP2. La quasi-totalité des activités sportives, de plein air aussi bien qu’en intérieur, étaient annulées, tout comme de nombreux évènements culturels ou politiques, et même certains vols commerciaux, faute de visibilité. Les hôpitaux ont fait part d’une légère augmentation des admissions liées à des symptômes respiratoires au cours de la journée.
Retour à la normale espéré dimanche
«Masquez-vous et limitez vos activités extérieures», a imploré le maire de la ville, Eric Adams, au gré d’un de ses nombreux appels à la prudence, alors que l’état d’alerte sanitaire était prolongé jusqu’à jeudi minuit au moins. Le pire du phénomène était attendu à New York mercredi soir, avant de se déporter lentement vers d’autres contrées plus à l’ouest. Mais jeudi pourrait être marqué par une nouvelle dégradation dans l’après-midi, a averti Adams. Les conditions atmosphériques ne laissent pas espérer un retour à la normale avant dimanche – notamment du fait de l’orientation et surtout de l’intensité des vents, qui ne permettent pas aux fumées de s’élever pour se disperser dans l’atmosphère.
Depuis un Washington également affecté (tout comme Chicago, Detroit, Boston, Philadelphie, Baltimore…), la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre a désigné dans cet épisode «un autre signe inquiétant de la manière dont la crise climatique affecte nos vies», appelant les habitants des zones touchées à multiplier les précautions et à prendre des nouvelles de voisins, familles et amis. La présidence américaine a par ailleurs annoncé l’envoi de 600 pompiers au Canada, en renfort de ceux déjà affairés à combattre les quelque 250 feux actifs actuellement jugés hors de contrôle.