Drogue, alcool et infidélités: qui est Hunter Biden, le cauchemar de la Maison-Blanche?
Addictions à la drogue et l'alcool, infidélités conjugales et moralité douteuse, intérêts suspects en Chine ou en Ukraine: le fils de Joe Biden est devenu le plus sûr moyen des Républicains pour abattre le Président démocrate.
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- Publié le 26-08-2023 à 20h10
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Le 22 juin dernier, la Maison-Blanche accueillit en grande pompe Narendra Modi – un événement puisqu’il s’agissait de la troisième visite d’État seulement d’un chef de gouvernement indien en Amérique depuis l’indépendance de l’Inde en 1947. Le tapis rouge était déroulé dans l’espoir de sceller entre Washington et New Delhi une alliance susceptible de contrebalancer le rapprochement entre Moscou et Pékin. Dans la foule des invités triés sur le volet qui se pressa au dîner de gala, exclusivement végétarien en l’honneur de l’hôte de marque, un homme dans la cinquantaine ne passa pas totalement inaperçu : Hunter Biden, le fils du Président.
Cette présence n’était pas anormale en soi. Première Dame et Premiers Enfants sont volontiers mobilisés dans des opérations qui relèvent autant de la diplomatie de proximité que du divertissement mondain – la famille de Donald Trump n’a ainsi pas été la dernière à monter au front chaque fois qu’une occasion se présentait. Mais, pour discrète qu’elle fût, l’apparition de Hunter Biden n’en a pas moins étonné. Parce que ses démêlés avec la justice défraient de nouveau la chronique, font les choux gras des Républicains et embarrassent le Président au moment où il lance la campagne pour sa réélection. Parce que, plus encore, ces démêlés concernent principalement les liaisons dangereuses que l’homme d’affaires a nouées en Chine et en Ukraine, en profitant de la notoriété, des relations, voire du soutien de son père. Or pareils banquets officiels n’offrent-ils pas le cadre idéal pour initier ou consolider de lucratives affaires ?
Une enfance frappée du sceau de la tragédie
On veut penser que Joe Biden n’avait pas convié son fils avec un tel projet. La démarche émanait très probablement davantage du père que du Président, avec le souci de ne pas ostraciser un homme qui n’en finit pas de se débattre avec de graves problèmes personnels (drogue, alcool, sexe), et de montrer qu’il continuait, au contraire, à jouir de l’affection paternelle. Joe Biden n’a cessé de dire qu’il aimait cet enfant et qu’il était fier des efforts qu’il faisait pour sortir de l’impasse dans laquelle il s’était trouvé.
Joe et Hunter Biden sont marqués par la même tragédie. Le 18 décembre 1972, alors qu’elle faisait des emplettes de Noël en voiture avec ses enfants, Neilia Hunter, la première épouse du futur Président, fut percutée par un camion. Elle périt dans l’accident, ainsi que la fille du couple, Naomi, âgée d’à peine un an. Hunter, qui avait deux ans et demi, et son frère aîné, Beau, furent gravement blessés. C’est à leur chevet, à l’hôpital, que Joe prêta serment comme tout jeune sénateur du Delaware – il venait d’être élu le mois précédent. Hunter fut brisé par le drame. Il portait comme prénom le nom de sa mère ; il prénomma Naomi la première de ses trois filles

Un autre malheur devait encore bouleverser la vie familiale : la disparition de Beau, emporté par un cancer du cerveau à 46 ans, le 30 mai 2015. Les deux frères étaient très proches et la perte pour Hunter fut immense – une fois encore, l’état civil atteste cette proximité : Beau avait appelé son fils Robert Hunter, les prénoms de son frère ; Hunter prénommerait Beau Jr l’enfant qu’il aurait après son remariage avec la réalisatrice sud-africaine Melissa Cohen. “Ils n’étaient qu’un”, a raconté Naomi Biden : “Un cœur, une âme, un esprit.”
De la dépression, une liaison, un divorce
Hunter sombra dans la dépression, ne sortant plus de chez lui que pour acheter de l’alcool. Le chagrin finit par souder le frère et la veuve, Hallie Olivere, qui entretinrent pendant trois ans une liaison à laquelle ils se résignèrent à mettre fin quelques jours seulement avant que Joe Biden n’annonce sa candidature à l’élection présidentielle, le 25 avril 2019.
Deux ans plus tôt, Hunter Biden avait finalement divorcé, après vingt-quatre ans d’un mariage souvent chaotique avec Kathleen Buhle, une psychologue de Chicago qu’il avait rencontrée en 1992 quand ils faisaient tous les deux du volontariat pour le Jesuit Volunteers Corps dans l’Oregon. Dans un livre paru en juin 2022, If We Break : A Memoir of Marriage, Addiction, and Healing, qui n’enthousiasma guère la critique tant il oscille entre banalité et sensationnalisme, Buhle exposa avec une évidente soif de vengeance le calvaire enduré au côté d’un mari qui mentait continuellement, était infidèle et dépensait sans compter pour satisfaire ses addictions et mener un train de vie extravagant – au point de laisser le ménage couvert de dettes.
Renvoyé de la Marine pour addiction à la cocaïne
Les turpitudes de Hunter Biden ne datent pas de cette époque. Son alcoolisme remonte à l’adolescence, causé, selon lui, par le traumatisme de 1972, quand bien même Joe Biden se fit un devoir de combler l’absence maternelle en faisant tous les jours la navette en train entre le Congrès à Washington et le domicile familial à Wilmington, dans le Delaware. Le jeune homme fit des études d’histoire à l’Université Georgetown, puis de droit à Yale, deux des plus prestigieuses institutions du pays. Cela ne l’empêcha pas de commencer à se droguer. Le mal serait profondément ancré. Des années plus tard, en 2013, après avoir rejoint la Marine et prêté serment devant son père, devenu le vice-président de Barack Obama, Hunter fut presque aussitôt renvoyé : il avait été testé positif à la cocaïne.
L’existence du fils Biden a ainsi des allures de long naufrage, scandé par les cures de désintoxication, des moments de rémission accompagnés de réussites professionnelles sous diverses casquettes (avocat, consultant, lobbyiste, investisseur…), et de nombreuses aventures extraconjugales annonciatrices parfois de nouvelles catastrophes. Hunter Biden assure, dans ses Mémoires, Beautiful Things, n’avoir aucun souvenir d’une rencontre avec Lunden Alexis Roberts, une strip-teaseuse de l’Arkansas, au cours de l’été 2018. Un test ADN a néanmoins confirmé, l’année suivante, qu’il lui avait fait un enfant. Un procès l’obligea à pourvoir aux besoins de la petite fille, nommée Navy, et la pression médiatique contraignit récemment Joe Biden à l’ajouter officiellement au nombre de ses petits-enfants.
Cette vie de bâton de chaise devait nécessairement passer un jour par la case prison. Hunter Biden risque aujourd’hui d’en prendre le chemin, mais pour des charges qui paraissent plutôt mineures au regard des cinq années d’enquête dont il a fait l’objet : une affaire de fraude fiscale pour les années 2017-2018, une autre concernant la possession illégale d’une arme à feu alors qu’il se droguait. Le 20 juin dernier, avocats et procureurs avaient conclu une de ces transactions pénales dont la justice américaine est coutumière pour épargner au fils Biden, en échange d’un aveu de culpabilité, une condamnation plus lourde et un éventuel emprisonnement. Du moins le croyaient-ils car, un mois plus tard, une juge du Delaware, Maryellen Noreika, torpillait l’accord en fustigeant son manque de clarté.
Un agent au service de l’étranger ?
La défense et l’accusation ne semblent pas avoir fait la même lecture du document, la première ayant cru qu’il mettrait Hunter Biden à l’abri de toute future poursuite. Or l’intention de la seconde est bel et bien de continuer à creuser d’autres dossiers : les affaires du fils Biden en Chine et en Ukraine, et la possibilité qu’il ait contrevenu au Foreign Agents Registration Act qui fait obligation aux lobbyistes liés à des gouvernements étrangers de s’enregistrer auprès du ministère de la Justice. En Chine, où il avait accompagné son père lors d’un voyage officiel en 2013, Hunter Biden a été administrateur et actionnaire de la société de capital-investissement BHR qui, comme il se doit sous le régime communiste, a des accointances avec le pouvoir. En Ukraine, le fils Biden a pareillement rejoint en 2014 le conseil d’administration de Burisma, géant local du gaz et du pétrole, à une époque où son père était réputé avoir la haute main sur les relations des États-Unis avec l’Ukraine.
L’obsession des Républicains
Les Républicains savent que Hunter est le talon d’Achille de Joe Biden, et ils n’ont eu de cesse de salir le fils pour discréditer le père, invoquant notamment des révélations accablantes tirées d’un ordinateur portable que Hunter Biden aurait oublié chez un réparateur du Delaware. L’acharnement a tourné à l’obsession au cours de la campagne présidentielle de 2020, après que Donald Trump eut exercé des pressions sur Volodymyr Zelensky, fraîchement élu, pour qu’il enquête sur les activités de Hunter Biden en Ukraine – ingérence qui faillit coûter au président américain une première destitution. La controverse prit une tournure particulière avec le limogeage du procureur général de l’Ukraine, Viktor Chokine, en mars 2016. Sur l’insistance du vice-président Biden parce qu’il aurait voulu poursuivre Burisma pour corruption, selon les Républicains. Ou parce qu’il était, au contraire, un obstacle à la lutte contre la corruption dans son pays, selon les Démocrates, mais aussi selon l’Union européenne.

Il appartient désormais à un “procureur spécial” de faire toute la lumière. David Weiss a été investi de la fonction, le 11 août, après avoir été en charge de l’enquête initiale, mais il est dans une position pour le moins insolite et inconfortable. C’est un Républicain, que Donald Trump a nommé, en février 2018, procureur fédéral pour le Delaware. C’est aussi un ami de la famille Biden, qui avait souvent travaillé avec Beau quand celui-ci était le procureur général de l’État du Delaware. Ceux qui le connaissent ne doutent pas de son intégrité et de son indépendance. Ils rappellent qu’au fil de sa carrière, Weiss a fait condamner des personnalités démocrates en vue. Nombre d’élus républicains affirment, cependant, ne pas lui faire confiance. Et pourtant, si Weiss avait été dessaisi par le ministre de la Justice au profit d’un autre procureur spécial, les mêmes auraient crié à la manipulation par l’Administration démocrate.
Le “Delaware Way”
L’atmosphère manque donc de sérénité, alors que le dossier est complexe. Il implique un suspect dont on sait qu’il a toujours aimé l’argent et en a souvent manqué – au point que devenu vaguement artiste, parce que la peinture lui fut présentée comme une thérapie, Hunter Biden n’hésitait pas à vendre ses croûtes un demi-million de dollars. L’affaire a aussi pour toile de fond un petit État de la côte Est où l’on se flatte de pratiquer le Delaware Way : dans cet univers où tout le monde se connaît, les intérêts politiques et économiques s’épousent plus qu’ils ne s’opposent, une mécanique que vient huiler, au besoin, un peu de “corruption douce”.
Enfin, il y a, en ombre chinoise, un Président qui ne s’est pas remis de la perte d’un fils dont il rêvait de faire son héritier, et qui a reporté tout son amour sur le cadet, plus que jamais une source d’embarras, mais avec qui Joe Biden ne peut pas imaginer prendre ses distances.
Beau Biden avait, avant de mourir, arraché à son père la promesse qu’il se lancerait à nouveau dans la course à la Maison-Blanche après deux tentatives ratées en 1988 et 2008. Hunter Biden lui fait aujourd’hui courir le risque de manquer sa réélection.