Donald Trump n'aurait pas le droit de se présenter à la présidentielle
C'est la thèse de deux éminents professeurs de droit conservateurs qui se réfèrent au XIVe Amendement à la Constitution américaine: il interdit l'élection de toute personne impliquée de près ou de loin dans une insurrection ou une rébellion. L'interprétation divise les Républicains.
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- Publié le 28-08-2023 à 16h56
- Mis à jour le 29-08-2023 à 16h24
Donald Trump est-il éligible ? Alors que d’aucuns se demandent si un Président pourrait occuper la Maison-Blanche tout en étant condamné par la justice (la question a été posée aux huit participants du premier débat républicain ; six d’entre eux n’ont pas d’objection), d’autres s’interrogent sur la légitimité de la candidature du milliardaire new-yorkais dès lors qu’il aurait trahi son serment de protéger la Constitution quand il était le chef de l’exécutif.
La question est fondée sur la plus sérieuse réflexion juridique depuis que deux professeurs de droit conservateurs, William Baude (Université de Chicago) et Michael Stokes Paulsen (Université de Saint Thomas, dans le Minnesota), l’ont analysée dans un long article à paraître l’an prochain dans "The University of Pennsylvania Law Review". Ils y invoquent la section 3 du XIVe Amendement à la Constitution américaine pour conclure que Donald Trump ne peut tout simplement pas se présenter à l’élection présidentielle de 2024.
Un legs de la guerre de Sécession
Voté en 1866, au lendemain de la guerre de Sécession, cet amendement visait essentiellement à octroyer aux anciens esclaves noirs les droits découlant de la citoyenneté que leur accordait le XIIIe Amendement. Toutefois, pour empêcher le retour au pouvoir de personnalités liées au régime confédéré, sa section 3 interdisait l’élection à toute fonction civile ou militaire, à l’échelon fédéral comme dans les États, de personnes ayant pris part, de près ou de loin, à “une insurrection ou une rébellion” contre les États-Unis d’Amérique, sauf si le Congrès en décidait autrement, à la majorité des deux tiers.
L’application contemporaine de cette disposition divise non seulement la classe politique, mais aussi les juristes. Pour les tenants d’une interprétation étroite, l’amendement est ancré dans son époque. Il répond aux nécessités de la Reconstruction, après la guerre civile, et ne saurait être transposé aux conditions actuelles. Membres de la Société fédéraliste qui défend une lecture littérale des textes, Baude et Paulsen estiment, au contraire, que Donald Trump “s’est engagé dans l’insurrection du 6 janvier (2021) par ses actions et par son inaction”. Son implication dans l’assaut du Capitole repose, selon eux, sur “une abondance de preuves”.
Un banc d’essai dans le New Hampshire
Cette disposition constitutionnelle produit ses effets par elle-même, sans qu’une décision de justice soit nécessaire pour l’activer. Les autorités responsables de l’organisation des élections sont donc invitées, dans chaque État, à examiner dès maintenant l’opportunité d’inscrire le nom de Donald Trump sur les bulletins de vote. C’est le cas déjà dans le New Hampshire, l’un des "swing states" de la côte Est, où Corky Messner s’est dit interpellé par l’argumentation de Baude et Paulsen. Candidat républicain à la sénatoriale de 2020 (il fut largement battu par la Démocrate Jeanne Shaheen), il a persuadé le secrétaire d’État David Scanlan, lui aussi républicain, d’étudier le dossier. C’est à ce dernier que reviendrait la décision, le cas échéant, d’écarter Trump du scrutin. Tout en se défendant de vouloir jouer ce rôle, Scanlan a déclaré qu’il allait prendre tous les avis nécessaires.
L’affaire divise les Républicains du New Hampshire. Pour le président local du Parti, Chris Ager, empêcher un candidat de se présenter serait totalement inconcevable, et il a promis de faire barrage à toute initiative en ce sens. Cette position n’est pas nécessairement celle du gouverneur, Chris Sununu. Issu d’une famille solidement républicaine, celui-ci ne porte guère Donald Trump dans son cœur. Il y a une semaine, il répétait encore que le parti courait à sa perte si Trump était son candidat. “Les Républicains essaient de sauver le pays. Donald Trump essaie de se sauver lui-même”, commentait-il dimanche à la télévision. Sur la controverse juridique, Sununu s’est tu jusqu’ici dans toutes les langues.
Le droit à l’épreuve de la réalité du terrain
Au-delà des arguments que s’échangent partisans et adversaires de la thèse de Baude et Paulsen, les sceptiques invoquent la réalité du terrain. Si on l'accuse d’avoir trempé dans une insurrection ou une rébellion (notions qu'il importera aussi de définir en termes actuels), le fait est que Donald Trump n’a pas été condamné. S’il devait l’être finalement, il ne le serait probablement que bien après l’élection du 5 novembre 2024. Dans l’intervalle, l’écarter d’un scrutin dont les sondages font de lui un favori, en se fondant sur un raisonnement juridique âprement discuté, reviendrait probablement à prendre le risque d’une réaction incontrôlable de ses électeurs.