Un débat chaotique entre Donald Trump et Joe Biden reflète une Amérique dramatiquement divisée
A 35 jours de l'élection présidentielle, le premier débat entre Donald Trump et Joe Biden s'est tenu ce mardi soir dans une ambiance électrique. Le résultat fut désastreux. Donald Trump a largement contribué à faire de ce débat le pire depuis que les États-Unis en programment.
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- Publié le 30-09-2020 à 06h53
- Mis à jour le 05-10-2020 à 17h16
Dans une campagne électorale américaine que l’épidémie de Covid-19 a rendue plus terne que d’habitude, on attendait avec impatience le premier débat télévisé, quand bien même on savait qu’il se déroulerait dans des conditions elles aussi particulières avec un public clairsemé. On était notamment curieux de voir si le candidat démocrate, Joe Biden, allait déborder d’énergie, histoire de démentir son adversaire républicain quand il le ridiculise sous le sobriquet de « Sleepy Joe » (« Joe-l’Endormi »). On était curieux de voir aussi si Donald Trump allait se montrer plus éloquent et plus méthodique que d’ordinaire, pour projeter de lui une image véritablement présidentielle.
Le résultat fut désastreux. En interrompant continuellement son rival, mais aussi le modérateur, le journaliste de Fox News Chris Wallace, Donald Trump a largement contribué à faire de ce débat, organisé mardi soir à la Case Western Reserve University de Cleveland, dans l’Ohio, le pire depuis que les États-Unis en programment. L’exercice fut chaotique, sombrant régulièrement dans la cacophonie et l’insulte, obligeant Wallace à rappeler à deux reprises au Président que son équipe de campagne avait accepté les règles du débat et qu’il ne les respectait pas, poussant finalement un Joe Biden excédé à lancer à l’adresse de Donald Trump un pathétique « Will you shut up, man ? » (« Tu vas la fermer, mec ? »).
Actualité oblige, avec la désignation par le Président, samedi dernier, d’Amy Coney Barrett à la Cour suprême, le débat s’est ouvert sur l’avenir de la plus haute juridiction du pays. En point de mire, le sort que celle-ci pourrait réserver à l’Obamacare, une réforme de l’assurance-maladie que la juge Barrett, a rappelé Joe Biden, avait jadis considérée comme contraire à la Constitution américaine. Donald Trump a repris son antienne sur le « désastre » que cette politique de santé représente, sans pouvoir dire davantage qu’en 2016 par quoi il voudrait la remplacer.
La « peste chinoise »
Avec plus de 200 000 morts aux États-Unis et son impact sur l’économie, l’épidémie de Covid-19 est probablement le sujet sur lequel Donald Trump se sait le plus vulnérable. Il a sans surprise rejeté la faute sur la Chine, soulignant que « la peste chinoise » avait stoppé net « la plus grande expansion économique dans l’histoire américaine ». Il a garanti l’arrivée d’un vaccin dans les mois qui viennent, déclarant que les grandes entreprises pharmaceutiques l’avaient assuré que les choses pouvaient aller plus vite que ne le disent les experts. Joe Biden a simplement demandé comment on pouvait encore croire le Président après tous les mensonges qu’il a proférés depuis le début de la crise.
Interrogé sur les révélations du New York Times, selon qui Donald Trump n’aurait pratiquement payé aucun impôt sur le revenu au cours des vingt dernières années, le candidat a rétorqué qu’il avait, au contraire, versé « des millions de dollars ». Pressé par Joe Biden d’en fournir la preuve en publiant ses déclarations fiscales, le Président a répondu qu’il le ferait, « dès que ce serait prêt ». Une promesse qu’il avait déjà faite, vainement, il y a quatre ans.
Joe Biden sur la défensive
L’échange, qui n’avait déjà pas volé très haut jusque-là, fut près de tomber dans le caniveau quand, à l’initiative de Donald Trump, il s’est déporté sur les familles des candidats. Le modérateur a réussi à recentrer le débat, sans pouvoir empêcher plus tard le Président de revenir à la charge. Alors que le candidat démocrate évoquait l’engagement de son défunt fils, Beau Biden, en Irak pour reprocher à Donald Trump d’avoir traité les soldats qui y ont servi de « losers » (des perdants, des ratés), le Président l’a prié de parler plutôt de Hunter Biden, qu’il accuse de malversations en Ukraine. Ce fut l’occasion d’un rare moment d’émotion, l’ancien vice-président expliquant que son fils cadet avait, « comme beaucoup d’Américains », été confronté à un problème de drogue et l’avait courageusement surmonté.
Trop souvent sur la défensive, ne parvenant pas toujours à surmonter son bégaiement, presque continuellement empêché de finir son raisonnement, desservi par des tics de langage (« Number one, number two »…), Joe Biden a manqué quelques réparties qui s’imposaient. Ainsi quand Donald Trump a éludé la demande de Chris Wallace de condamner explicitement les groupes suprémacistes blancs, encourageant au contraire les « Proud Boys » (une organisation d’extrême droite) à tenir bon. Ou quand il a réduit les dramatiques incendies qui dévastent la côte Ouest des États-Unis à un simple problème de gestion forestière, et minimisé la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique – une matière qu’il n’était pas initialement prévu de débattre.
Des mois de contestation
Contrairement à ce qu’on voyait dans le passé, les deux candidats ne sont apparus d’accord sur rien. Donald Trump a constamment assimilé son contradicteur à « la gauche radicale » qui veut implanter le socialisme en Amérique, tandis que Joe Biden traitait avec mépris « cet homme » qui est « le pire président que le pays ait jamais eu ». Le clivage est tel qu’il met en péril le bon déroulement du scrutin. Donald Trump a déclaré qu’on pourrait ne pas en connaître le résultat « avant des mois ». Il a refusé d’appeler ses partisans au calme dans l’hypothèse où l’issue resterait incertaine (il les a plutôt exhortés à surveiller de près une élection qui ne pourra, selon lui, qu’être entachée de fraudes), et il ne s’est pas davantage engagé à attendre la proclamation officielle des résultats. On ne pouvait pas imaginer un débat se conclure dans une plus grande tension.
Le prochain rendez-vous entre les deux hommes est fixé au 15 octobre à Miami. Entre-temps, leurs colistiers auront eu l’opportunité d’en découdre à Salt Lake City, le 7 octobre. Une confrontation entre Kamala Harris et Mike Pence qui suscitait déjà plus d’excitation que les précédents débats entre candidats à la vice-présidence, généralement tenus pour anecdotiques, mais qui, après le pitoyable spectacle de mardi soir, ne peut que générer le besoin d’une plus grande décence et d’un meilleur respect des traditions démocratiques.
