Election américaine : le Minnesota s’apprête à ruiner les ambitions de Donald Trump
Battu de très peu par Hillary Clinton, en 2016, dans cet État profondément démocrate, le Président faisait de sa conquête la clé de voûte de son triomphe dans le Midwest et, par conséquent, de sa réélection. Il doit déchanter aujourd’hui.
Publié le 28-10-2020 à 06h56 - Mis à jour le 28-10-2020 à 15h26
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7AUIYG6KYNGEXGVLFC4EZN5NGM.jpg)
Dans la langue des Sioux Dakotas, Mankato signifie "Terre bleue", un nom qui fit vainement croire à l’explorateur français Pierre-Charles Le Sueur, originaire de l’Artois, qu’il y découvrirait du cuivre dans les années 1700. Bien que la cinquième ville du Minnesota en dehors de la conurbation de Minneapolis-Saint Paul n’en laisse plus rien paraître, "terre rouge" serait probablement plus indiqué. La révolte des Dakotas contre l’armée américaine et les colons connut ici son tragique dénouement. En décembre 1862, 303 Indiens furent amenés à Mankato pour y être jugés. Si, sur décision personnelle de Lincoln, 265 échappèrent à la potence, les 38 autres furent pendus au lendemain de Noël. Cela reste la plus grande exécution de masse dans l’histoire des États-Unis
Un parc de la Réconciliation est tout ce qui témoigne encore à Mankato de cette infamie, et la question indienne, si elle hante toujours la mémoire collective, n’est pas un sujet de préoccupation majeur. Les tensions raciales, qui ont provoqué des explosions de violence, du vandalisme et des pillages au lendemain du meurtre de George Floyd, mort étouffé sous le genou d’un policier à Minneapolis, le 25 mai dernier, ont rappelé, cependant, combien le fameux melting pot américain pouvait encore être un brasier. Et, auprès d’une partie de la population au moins, le message de Donald Trump sur la nécessité de préserver, ou de restaurer, "la loi et l’ordre" ne peut que résonner fortement.
Un seul vote républicain en un demi-siècle
Le Minnesota est un État profondément acquis au Parti démocrate. En plus d’un demi-siècle, il n’a élu qu’une seule fois un président républicain : Richard Nixon, en 1972. Encore ne l’a-t-il fait qu’après avoir mûrement réfléchi et jugé sur pièces : lorsque Nixon fut élu la première fois, en 1968, le Minnesota lui avait préféré son rival démocrate, Hubert Humphrey. Il faut remonter à Dwight Eisenhower, en 1952 et 1956, pour trouver un autre exemple. Et, avant lui, à Herbert Hoover en 1928 ! L’attachement du Minnesota aux Démocrates est tel qu’en 1984, quand Ronald Reagan triompha à la faveur d’un raz de marée qui le fit gagner dans tous les États de l’Union sauf un, le seul précisément qui vota pour son adversaire, Walter Mondale, fut le Minnesota – où était né, il est vrai, le malheureux candidat démocrate.
Il y a quatre ans, cependant, Hillary Clinton ne l’emporta que de justesse face à Donald Trump : avec moins de 45 000 voix d’écart (46,94 % contre 44,92%). Les politologues ont attribué cette contre-performance stupéfiante à l’impopularité d’une personnalité clivante, mais aussi au sexisme d’un électorat peu favorable à la candidature d’une femme – à tout le moins, cette femme-là. On ne peut écarter pour autant la montée en puissance du Parti républicain, comme l’ont confirmé les législatives de la mi-mandat en 2018. Alors qu’une vague bleue submergeait le pays pour donner aux Démocrates le contrôle de la Chambre des représentants, les Républicains parvenaient à enlever trois des huit sièges en jeu au Minnesota, dont un dans la 1ère circonscription électorale qui englobe Mankato.
Le plus sûr espoir de gain électoral
Lui-même fils de député, le vainqueur dans cette circonscription, Jim Hagedorn, en était à son quatrième essai, et il ne gagna finalement qu’avec 1 315 voix de plus que le Démocrate Daniel Feehan (50,13 % contre 49,67 %). Cette victoire étriquée devait montrer que l’attrait des Républicains au Minnesota se limitait essentiellement aux immenses 7e et 8e circonscriptions, rurales et plus conservatrices. À l’aube de la campagne présidentielle de 2020, l’équipe de Donald Trump n’en vit pas moins, dans "l’État aux dix mille lacs", l’une des plus belles opportunités de consolider les chances de réélection du Président.
Les Républicains doivent pourtant déchanter. Tandis que Hagedorn est donné au coude-à-coude avec Feehan, Donald Trump semble en perdition dans les sondages, en retard de 5 à 14 % sur Joe Biden. Significativement, on n’entend plus guère le Président prétendre qu’il va triompher au Minnesota et, tout aussi éloquemment, s’il a enchaîné mardi trois visites au Michigan, au Wisconsin et au Nebraska, il a délaissé ce qui devait être la pièce maîtresse de sa stratégie pour contrôler totalement le Midwest. On a pareillement vu mardi tout le clan Trump (Melania, Donald Jr, Eric et Ivanka, ainsi que Tiffany, l’unique fille du deuxième mariage, et Lara, l’épouse d’Eric) multiplier les rallyes dans les swing states, mais pas au Minnesota.
La "libération" ratée du Minnesota
Il faut en déduire que le camp présidentiel a fait une croix sur les dix "grands électeurs" du Minnesota. Et il est permis de penser que la raison principale du revers de fortune qui a douché ses espoirs initiaux réside principalement dans la gestion catastrophique de l’épidémie de Covid-19 par la Maison-Blanche. Le Minnesota demeure aujourd’hui l’un des États comparativement les moins touchés, alors que le Midwest, tout autour, replonge à toute vitesse dans la crise. Ses 5,6 millions d’habitants sont donc bien placés pour juger la politique de Donald Trump qui, le 17 avril, condamnait les mesures sanitaires prises par le gouverneur démocrate, Tim Walz, et appelait à "libérer le Minnesota".
