"Personne ne désire la violence mais nous nous tenons prêts" : reportage au Capitole
Des manifestations organisées à l’instigation de Donald Trump ont dégénéré à Washington, mercredi. Des partisans du Président sont entrés dans les bâtiments du Congrès.
Publié le 07-01-2021 à 10h07 - Mis à jour le 07-01-2021 à 15h19
Le 6 janvier 2020 à Washington DC. Le Capitole, symbole de la démocratie aux États-Unis, est pris d’assaut par une horde de manifestants arborant fièrement les couleurs et les slogans de "leur" président Donald Trump.
La séance du jour, qui devait aboutir à la certification de la victoire du démocrate Joe Biden, est interrompue. Les manifestants sont parvenus à pénétrer dans le saint des saints. Le vice-président Mike Pence est évacué, c’est à lui que devait revenir la tâche de confirmer la victoire du Démocrate.
À l’intérieur du Capitole des centaines de supporters, parfois en tenue militaire et protégés par un gilet pare-balles, prennent possession de la Rotonde entre les deux chambres du Congrès. Des coups de feu éclatent. Des grenades lacrymogènes sont tirées par les forces de l’ordre. À l’intérieur des hémicycles, les élus ont barricadé les portes d’entrée.
Trump en artificier
Le président Donald Trump, silencieux pendant toute cette prise d’assaut, se décide à publier un tweet appelant ses partisans "à éviter la violence".
Pourtant, deux heures plus tôt, le Président, qui a perdu tous les recours qu’il a introduits devant la justice pour contester les résultats des élections présidentielles du 3 novembre, avait martelé face à plusieurs milliers de supporters venus des quatre coins du pays, massés depuis des heures dans le froid glacial de la capitale américaine, qu’il ne concéderait "jamais la défaite". "Nous n’abandonnerons jamais." Il avait répété une fois encore, le dos tourné au Capitole, qu’il avait largement gagné le scrutin, que ses supporters avaient gagné, que les politiciens et les médias fake news leur volaient cette victoire.
Face aux drapeaux à son effigie flottant au vent dans une ambiance électrique, il ajoutait : "Si Mike Pence fait la bonne chose, nous gagnerons l’élection", cherchant à mettre la pression sur son vice-président qui n’a pourtant d’autre choix que de confirmer la victoire de Joe Biden.
Au sein du Congrès, à quelques mètres de là, Mike Pence répond sans tarder en annonçant qu’il ne peut s’opposer à l’officialisation de la victoire de Biden. Qu’importe, d’autres élus républicains le font à sa place en continuant à envoyer des messages désorientant leurs partisans sur les réseaux sociaux.
À l’extérieur, sous un ciel gris et bas, dans la foule compacte, les partisans de Donald Trump veulent y croire. Justin, la vingtaine débonnaire, débarqué en avion d’Atlanta très tôt le matin et "très excité d’être là", était assesseur dans un petit bureau de vote de la périphérie de la capitale géorgienne la veille, lors des élections sénatoriales qui ont finalement vu triompher les deux Démocrates en lice. "Je suis certain qu’il n’y a eu aucune irrégularité dans mon bureau de vote, lance-t-il, mais j’ai des doutes sur les pratiques enregistrées dans des plus grands bureaux", bien nourri par la rhétorique diffusée depuis deux mois par le camp présidentiel.
"Personne ne désire la violence…"
Au milieu de la foule compacte, Emily et Dave, tous deux originaires de l’Ohio et anciens membres des forces armées, se sont déplacés dans la capitale fédérale pour "protéger le pays et sa Constitution". "J’ai juré à l’époque en ma qualité de membre des forces armées de protéger mon pays contre les ennemis de l’étranger et ceux qui sont issus des États-Unis même, indique Dave. Le deep state, ces politiciens corrompus des deux partis, appartiennent à la seconde catégorie et j’entends bien faire mon devoir de patriote pour en débarrasser la nation", explique-t-il un sourire au coin des lèvres. "Si Mike Pence devait trahir Trump, nous nous dirigerons vers le Congrès s’il le faut. Personne ne désire la violence mais nous nous tenons prêts", prévenait-il deux heures avant qu’une partie des manifestants ne fonde sur le Capitole. Sa compagne abonde en son sens : "Nous sommes préparés si les choses devaient mal tourner", explique cette ancienne infirmière militaire, munie d’une large trousse de premiers soins. "Nous nous insurgeons plus que tout contre deux choses, poursuit-elle, le rôle de gendarme mondial des États-Unis et la haine du pays distillée par les médias libéraux, qui pensent que tout est à revoir et qu’il faudrait avoir honte d’être nous-mêmes."
Face à cette mobilisation, le camp du Président en passe alors de perdre la majorité au Sénat, paraissait plus fracturé que jamais. "Si cette élection était invalidée sur la base de simples allégations des perdants, notre démocratie entrerait dans une spirale mortelle", lâchait, à quelques centaines de mètres de la foule haranguée par Donald Trump, le chef des sénateurs républicains Mitch McConnell.
En réponse, avant de quitter l’estrade et ses supporters, Trump balançait une dernière fois, contre toute évidence et en dépit de l’absence de preuve : "Nous avons remporté cette élection, et nous l’avons remportée largement."
Quelques minutes après le départ de l’escorte présidentielle, un mouvement s’ébranle. Massif. Déterminé. Direction le Capitole. Les obstacles pour l’en empêcher sont balayés comme des fétus de paille.
Mike Pence ne pourra valider la victoire de Biden ce mercredi comme le prévoit la Constitution. Sur Twitter, le vice-président appelle à l’arrêt "immédiat" des violences au Capitole. "Les violences et les destructions qui ont lieu au Capitole américain doivent cesser et elles doivent cesser immédiatement", écrit l’ancien gouverneur de l’Indiana.
Sur le coup de 17 h (23 h en Belgique), une heure avant l’entrée en vigueur à DC du couvre-feu imposé par la maire Muriel Bowser, la police antiémeute parvient à repousser les manifestants hors du Capitole.
Quelques instants plus tôt, le futur président Joe Biden était apparu sur les écrans. Sobre, il a assimilé les violences à Washington à une "insurrection". "Je suis choqué, le monde nous regarde, quel moment sombre", avant de poursuivre par un message à l’attention de Donald Trump. "Les mots d’un Président comptent", appelant le Républicain à apparaître sur une chaîne nationale de télévision pour mettre fin au chaos causé par ses partisans au Capitole. Donald Trump apparaîtra finalement sur son réseau social de prédilection pour appeler au calme tout en rappelant son "immense victoire" et la "tricherie" de l’autre camp.