Une délégation belge a pu se rendre au Xinjiang, mais pas parler avec la famille ouïghoure qui espère rejoindre la Belgique
Le sort de la mère et de ses enfants ouïghours, sous très haute surveillance, ne s'améliore pas.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/231bf662-c2aa-4e59-98ee-8d8259bb81a1.png)
- Publié le 29-07-2019 à 15h55
- Mis à jour le 28-09-2019 à 17h45
:focal(2495x1671.5:2505x1661.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/XTFADOL3GJHLJE52GWCROK6EZM.jpg)
Le sort de la famille ouïghoure, évacuée de l’ambassade de Belgique à Pékin par la police chinoise le 29 mai dernier, ne s’améliore pas. Mais “la femme et les enfants sont en bonne santé”, nous affirme le porte-parole des Affaires étrangères, Karl Lagatie, après qu’une délégation belge a pu se rendre au Xinjiang la semaine dernière. Les membres de la délégation, dont on ne connaît pas le grade, n’ont “pas eu l’opportunité d’avoir une discussion avec la famille”, ils “n’ont pas pu avoir une conversation face à face”, a-t-il cependant précisé, sans vouloir entrer dans plus de détails.
Wureyetiguli Abula et ses quatre enfants mineurs s’étaient présentés à l’ambassade de Belgique à Pékin en vue de compléter un dossier de regroupement familial avec leur mari et père Ablimit Tursun, réfugié à Gand. Craignant pour leur sécurité, ils avaient refusé de quitter les lieux avant d’en être évacués au milieu de la nuit par la police chinoise. Renvoyés au Xinjiang, ils n’ont plus donné signe de vie pendant deux semaines.
Dans cette région de l’ouest de la Chine, le régime communiste orchestre une répression d’une ampleur sans précédent, envoyant des centaines de milliers de personnes en prison et en camps de rééducation sous prétexte de lutte antiterroriste et de déradicalisation. “La population du Xinjiang se sent beaucoup plus sûre et beaucoup plus satisfaite de la stabilité de la société”, assure le porte-parole de l’ambassade de Chine à Bruxelles, ajoutant que la “situation sécuritaire s’est considérablement améliorée” et que “les droits de toutes les ethnies sont protégés par la loi et pleinement respectés”.
À Urumqi, Mme Abula et ses enfants vivent en tout cas sous très haute surveillance. La police s’est installée dans l’appartement voisin (vide depuis que sa propriétaire a été envoyée en camp), elle s’invite dans leur maison, y fait la cuisine, emmène les enfants se promener, a relaté Mme Abula à son mari. Depuis que l’affaire a été dévoilée par la presse, elle a pu rétablir le contact avec M. Tursun via le réseau social chinois WeChat (sur écoute). La police l’a soumise à interrogatoire, a tenté (en vain) de lui faire signer une confession selon laquelle elle avait porté atteinte à la sécurité nationale et fait comprendre qu’elle ne sortirait pas de Chine. La perspective d’un regroupement familial avec le père, réfugié en Belgique, reste à ce stade improbable.
“Notre ambassade et nos services consulaires poursuivent le processus malgré les difficultés. Ils font au mieux, en toute discrétion”, affirme M. Lagatie. Le récent voyage de la délégation belge, qui a finalement pu avoir lieu cinq semaines après l’annonce faite par le ministre Didier Reynders, “cadre dans le traitement administratif de la procédure de regroupement familial qui est en cours”.
Menacés en Belgique
Ablimit Tursun, quant à lui, a été contacté par son frère, sorti du camp où il était détenu, pour lui demander de rentrer au Xinjiang. Les Ouïghours de l’étranger savent toutefois que ceux d’entre eux qui ont pris la décision de revenir au pays, à la demande d’un proche, ont souvent disparu de la circulation peu après avoir atterri en Chine. Ceux qui restent dans leur pays d'accueil y sont souvent inquiétés par le long bras de la police chinoise.
Un activiste de Belgique a ainsi été récemment menacé, via sa mère dont il n’avait plus de nouvelles depuis trois ans. “En juin, j’ai reçu un message me demandant de prendre une photo de moi avec ma carte d’identité belge en face de l’ambassade de Chine à Bruxelles. Je ne l’ai évidemment pas fait. Après, les responsables chinois auraient pu me faire du chantage, me forcer à collaborer, envoyer la photo de moi à toute la communauté ouïghoure de Belgique, me faire passer pour un espion. Cela n’a pas marché pour moi, mais je ne suis pas sûr que cela n’ait pas marché pour d’autres…”, raconte-t-il.
Au début de ce mois, sa mère l’a recontacté - sous surveillance, a-t-il perçu - pour le supplier d’arrêter ses activités militantes, “‘sinon je vais mourir’, m’a-t-elle dit. Elle pleurait, me blâmait, me traitait d’égoïste, me demandait de penser à elle, à mon père, à ma sœur qui réussit bien à l’université. Elle m’a dit que je racontais n’importe quoi, que la situation était bonne au Xinjiang. Je lui ai répondu que, si elle était aussi libre qu’elle le disait, elle pouvait prendre son passeport et venir rendre visite à son fils. Mais elle a donné plein de fausses excuses : elle n’a pas d’argent pour voyager, sa santé n’est pas bonne, ma sœur est à l’école, blablabla.”
Depuis peu, rapporte-t-on par ailleurs à la Belgium Uyghur Association, certains Ouïghours, d’ici mais aussi de France, ont été contactés directement et personnellement par l’ambassade de Chine, leur demandant de venir chercher un paquet ou une lettre qui était arrivé(e) pour eux. “Il y a en a qui ont peur, il y en a aussi qui ignorent ces coups de fil, et d’autres qui menacent d'appeler la police belge si cela continue.” Aucun ne s’est aventuré à l’ambassade.