Iran : "Mon ami est mort sous mes yeux. J’en tremble encore"
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Publié le 08-12-2019 à 11h27 - Mis à jour le 08-12-2019 à 11h36
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Les récits se précisent sur la répression qui aurait fait des centaines de morts. Un militant de Chiraz témoigne.
Que s’est-il passé exactement en Iran pendant ces sept jours, du 16 au 23 novembre, où l’Internet fut quasi totalement coupé par les autorités ? Pièce par pièce, le puzzle est reconstitué par des vidéos, témoignages, rapports. Il est dramatique. La répression des émeutiers a été extrêmement violente.
Les États-Unis évoquent le chiffre de plus de 1 000 morts, un chiffre identique à celui des Moudjahidine du peuple (MEK), un mouvement d’opposition proche des conservateurs américains. Les Nations unies et Amnesty suggèrent qu’"au moins 208 personnes" ont été tuées dont 13 femmes et 12 enfants, parfois à bout portant par les forces de sécurité. Téhéran ne reconnaît que cinq morts, dont quatre membres des forces de l’ordre.
Un militant de l’opposition à Chiraz raconte
"Mon ami de 46 ans est mort sous mes yeux", témoigne à La Libre Belgique un homme d’affaires de Chiraz, capitale de la province de Fars. Il est sorti spécialement d’Iran pour témoigner à quelques médias européens de ce qu’il vient de vivre.
L’homme - qui a demandé à ne pas être identifié dans l’article pour des raisons de sécurité - est aussi un militant des Moudjahidine. Il a pris un risque énorme pour témoigner.
"Dans mon quartier à Chiraz, au moins 30 à 40 personnes sont mortes. Quand je pense à cela, j’en tremble", dit cet homme dans la force de l’âge.
Tout a commencé le 16 novembre à Chiraz, comme dans d’autres villes iraniennes, par l’annonce d’une hausse de 50 % du prix de l’essence. "C’était une excuse." Après des mois de difficultés économiques, en partie liées aux sanctions américaines, "les gens voulaient sortir dans la rue".
Dans un premier temps, "les manifestants ne demandaient rien au régime. Ils étaient violents. Ils ont détruit des stations-service, des banques et des bâtiments officiels. Pendant les deux premiers jours, certains quartiers de Chiraz étaient sous contrôle des manifestants", raconte-t-il.
Mais deux jours après, "le régime a attaqué les manifestants avec tous les moyens à sa disposition. Des hélicoptères, des blindés, des transports de troupes. J’ai vu des Gardiens de la Révolution et des militaires", poursuit-il.
Formé à la résistance, l’homme d’affaires s’en sort sans blessure. "Je sais comment cela se passe. La plupart des victimes étaient des jeunes. Ils étaient les plus courageux."
"Armes automatiques" contre manifestants, selon l’Onu
Les manifestations se sont déroulées simultanément dans une centaine de villes iraniennes. Selon Michelle Bachelet, une socialiste chilienne devenue Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, les forces de sécurité ont tiré dans une ville du haut d’un bâtiment, dans une autre d’hélicoptères. Des manifestants ont été abattus dans le dos alors qu’ils s’enfuyaient, d’autres de plein fouet. À Mahshahr, sur le square Jarahi, le 18 novembre, les forces "ont utilisé des armes automatiques contre les manifestants", indique Mme Bachelet dans un communiqué publié vendredi.
En utilisant ses réseaux secrets en Iran, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), qui fédère l’opposition en dehors du pays, a établi une liste de 350 victimes. Celle-ci continue progressivement à grandir.
Le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, a fait savoir mercredi qu’il acceptait que les victimes n’ayant "joué aucun rôle" dans la contestation puissent recevoir le titre de "martyr".
Ce titre est important car il permet à la famille d’obtenir des compensations financières et des facilités à l’embauche ou à l’université. Il fait la distinction entre "les criminels", ceux qui ont joué un rôle direct dans les émeutes, et les manifestants pacifiques, dont beaucoup ont été arrêtés. "Il y a bien sûr des innocents et ils devraient être remis en liberté", assure l’Ayatollah Ali Khamenei.
Notre témoin de Chiraz croit que ces gestes d’apaisement du plus haut responsable iranien sont faits sous la pression internationale.
"Pour le moment", accuse-t-il, "les Gardiens de la Révolution font payer 4 000 dollars aux familles des victimes pour le prix des balles et le droit d’enterrer leurs proches en secret. À Chiraz, les familles font la file au poste de police de la rue Sepah pour s’enquérir de ce qui est arrivé à leurs proches."
En coupant Internet pendant une semaine, Téhéran a pu réprimer le mouvement de contestation très durement et reprendre le contrôle des villes. Les familles des victimes ont été priées de ne pas parler aux médias. Mais le militant de l’opposition croit que le mouvement va reprendre à l’approche des prochaines élections parlementaires prévues le 21 février. "Il y a des braises sous les cendres", dit-il.