La famille ouïghoure a disparu des écrans radars belges: qu'est-elle devenue ?
Ni le père de famille, réfugié à Gand, ni les Affaires étrangères belges n’arrivent plus à la joindre. Qu’est-elle devenue ?
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Publié le 17-12-2019 à 19h32 - Mis à jour le 17-12-2019 à 19h34
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La famille ouïghoure, qui avait été évacuée de l’ambassade de Belgique à Pékin, ne donne plus signe de vie depuis deux semaines. Toutes les communications, établies entre le père, Ablimit Tursun, réfugié en Belgique, et le reste de sa famille, retenue au Xinjiang, ont été coupées le 3 décembre. Le téléphone portable de M. Tursun garde la trace des nombreux appels qu’il a tenté de passer et qui ont été avortés. La dernière, brève, conversation qu’il a pu avoir avec son épouse remonte au 2 décembre.
L’ex-ministre Didier Reynders a plusieurs fois affirmé que la Belgique prenait régulièrement des nouvelles de Wureyetiguli Abula et de ses quatre enfants. Mais les Affaires étrangères n’ont “plus eu de contact depuis début décembre” non plus. “Nous avons essayé de joindre la famille, sans succès”, explique le porte-parole du SPF, Karl Lagatie. “Notre ambassade a dès lors pris contact avec le bureau des affaires étrangères au Xinjiang pour savoir comment renouer avec la famille.” Mais la demande est restée sans réponse.
Le fil étant rompu, on ne sait si Mme Abula et ses enfants, qui étaient scolarisés, vivent toujours chez eux. Alors que la population ouïghoure fait face à une répression sans précédent de la part des autorités chinoises, le risque existe que la mère et ses enfants aient été envoyés en camp de rééducation ou en prison ou, pour les plus jeunes, dans un orphelinat.
“Une vie paisible”
Mme Abula et ses enfants mineurs s’étaient présentés au consulat de Belgique à Pékin en vue de compléter un dossier de regroupement familial avec le mari et père, Ablimit Tursun. Lorsqu’il lui a été dit de rentrer au Xinjiang pour attendre la délivrance des papiers, la maman, qui avait pris d’énormes risques pour venir jusque dans la capitale, a paniqué. Après avoir refusé de quitter l’ambassade et demandé la protection de la Belgique, elle a été livrée à la police chinoise dans la nuit du 29 mai – une décision “prise conjointement par Bruxelles et le poste” de Pékin, selon M. Reynders.
La famille a alors été renvoyée en voiture à Urumqi, dans l’ouest de la Chine. Dans un courrier adressé à La Libre le 30 septembre, Mme Sun, chargée de presse de l’ambassade de Chine à Bruxelles, a affirmé que Mme Abula et ses enfants y menaient “une vie paisible et en toute liberté de mouvement”, ajoutant que “la communauté de son quartier” accordait “beaucoup de soins à la vie de la famille”, “distribu(ant) chaque jour du lait nutritif et offr(ant) des cadeaux et produits de nécessité durant les fêtes”. Mme Abula, désespérée, avait une tout autre perception de son quotidien. Si la police a un temps tenté d’amadouer les enfants, selon M. Tursun, elle a aussi soumis Mme Abula à interrogatoire, l’a menacée, elle a fouillé l’appartement, confisqué le matériel électronique, tenté de lui faire signer une confession selon laquelle elle avait porté atteinte à la sécurité nationale. Une procédure judiciaire a même été ouverte pour terrorisme, selon Pékin.
Sous couvert de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme islamistes, les autorités chinoises ont envoyé, d’après les évaluations de chercheurs étrangers, près d’un million de personnes en camp de rééducation – des centres de formation et d’enseignement professionnels, selon le discours officiel. D’après Mme Sun, les habitants, qui ont “une vie heureuse avec un sentiment nettement plus fort d’épanouissement et de sécurité”, “apportent tout leur soutien du fond du cœur aux mesures politiques du gouvernement”. Des fuites de documents internes du Parti communiste chinois, publiés dans The New York Times notamment, ont montré cependant que le président Xi Jinping avait exhorté les autorités locales à ne manifester “absolument aucune pitié” dans la région Ouïghoure.
Dans ce contexte totalitaire, Ablimit Tursun avait, par lettre d’avocat, pointé les erreurs de la Belgique dans l’affaire et mis en demeure le ministre des Affaires étrangères de prendre toutes les actions nécessaires, avant le 1er décembre, pour faire venir sa famille. Lors de la mission économique belge organisée le mois dernier en Chine, Didier Reynders a annoncé avoir remis à son homologue une lettre demandant que soient délivrés des passeports à la mère et aux enfants en vue d’un regroupement familial en Belgique. “Cela montre que cela nous tient à cœur”, affirme M. Lagatie. “On continue à défendre ce dossier, selon une approche consulaire. Mais, pour le moment, il n’y a aucun progrès dans le dossier malheureusement. On attend encore une réaction officielle chinoise…”