"C’est une forme de nettoyage ethnique": à Tal Nasrin, les déplacés kurdes remplacent les chrétiens qui ont fui Daech
En Syrie, le village chrétien détruit par Daech abrite désormais des déplacés arabes et kurdes, chassés par l'offensive turque.
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- Publié le 10-03-2020 à 17h08
- Mis à jour le 21-03-2020 à 20h14
En Syrie, le village chrétien détruit par Daech abrite désormais des déplacés arabes et kurdes.
En lançant les opérations militaires dans le nord-est à majorité kurde de la Syrie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, justifiait qu’il fallait relocaliser en Syrie les centaines de milliers de réfugiés qui trouvent abri dans son pays. À Tal Nasrin, petit village chrétien de la vallée de Khabour, ces opérations ont eu un impact direct : des Kurdes et Arabes, chassés par l’armée turque, ont remplacé les chrétiens syriaques qui avaient été chassés par Daech en 2015.
" Pour les chrétiens, c’était un petit paradis ici" , dit le responsable des déplacés de la région autonome du nord-est de la Syrie. "Ils se sont disséminés un peu partout ."
Tal Nasrin était l’un des 32 villages assyriens de la vallée du Khabour. Ceux-ci firent l’objet de combats violents entre les forces kurdes et l’État islamique. Daech ne resta pas longtemps dans ces villages mais eu le temps de faire sauter les églises. Celle de Tal Nasrin a été dynamitée en février 2015.
Quand La Libre Belgique avait visité le village en décembre 2015, les rues étaient désertes, les volets des maisons étaient ouverts et seul un garde armé restait dans le village. Aujourd’hui, des poules picorent entre les décombres et les chrétiens ont été remplacés par des Kurdes venus de la poche d’Afrine et des Arabes chassés de la ville de Ras al-Aïn ( Serekaniye en kurde) par l’offensive turque d’octobre 2019.
Le domino des déplacés
" C’était le 9 octobre vers 16 heures ", raconte un réfugié. " Nous avions formé une haie avec des hommes et des femmes. Ils ont bombardé autour de la ville, pas à l’intérieur. Les gens ont eu peur et sont partis. Chacun a pris son enfant et est parti ", raconte un réfugié.
Ces réfugiés de la dernière offensive se sont répartis dans le camp de toiles de Washokani, mais aussi dans les villages abandonnés, comme Tal Nasrin.
Une famille arabe vit désormais à quelques mètres du clocher écrasé sur le sol de l’église de la Vierge Marie. Un fil est tendu jusqu’à lui pour pendre le linge. Ils viennent d’un village proche de Tall Tamer, où la ligne de confrontation entre les milices pro-turques et les Forces démocratiques syriennes (FDS) bouge incessamment. "Avant j’avais une maison et maintenant je n’ai plus rien à manger. Aidez-moi ! ", supplie le patriarche de la famille, qui associe les milices d’Ankara à " Daech ". Son épouse affirme que deux femmes de leur village d’origine, de 30 et 40 ans, ont été enlevées la veille " Nous avons essayé de nous informer à un poste russe, mais c’était trop dangereux ", dit-elle. " Certains ravisseurs demandent jusqu’à 3 000 dollars par otage ."
Un peu plus loin, une femme nous hèle et nous demande de la rejoindre dans une maison. Là, des femmes épluchent les tomates et pommes de terre de l’aide humanitaire. Bedriya a perdu ses deux fils à la guerre et elle implore le président Erdogan de lui dire " ce qu’il veut d’[eux ]". " Je n’ai plus de droits mais j’existe" , clame cette mère en état de choc.
" C’est une forme de nettoyage ethnique", estime le député Georges Dallemagne, qui s’est rendu sur place avec quelques journalistes. " Car il y a des habitants qui ont été victimes de la terreur islamiste et qui ont cédé la place à d’autres, victimes de la même terreur. C ’est la disparition des chrétiens d’ici."