Cinq ans après le saccage commis par Daech, le musée de Mossoul se bat pour retrouver sa mémoire
Il y a cinq ans, une vidéo de Daech faisait le tour du monde. Elle montrait des djihadistes saccageant à la masse le musée de Mossoul. La ville a été libérée en 2017 par l’armée irakienne et par la coalition internationale. Exceptionnellement, "La Libre" a pu récemment se rendre au musée de Mossoul. Reportage de Christophe Lamfalussy, e nvoyé spécial à Mossoul.
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- Publié le 23-03-2020 à 10h50
- Mis à jour le 24-04-2020 à 23h43
Il y a cinq ans, une vidéo de Daech faisait le tour du monde. Elle montrait des djihadistes saccageant à la masse le musée de Mossoul. La ville a été libérée en 2017 par l’armée irakienne et par la coalition internationale. Exceptionnellement, "La Libre" a pu récemment se rendre au musée de Mossoul. Reportage de Christophe Lamfalussy, e nvoyé spécial à Mossoul.
Dans le passé, se cache l’avenir". C’est en citant ce proverbe arabe que le directeur du musée de Mossoul fait la visite des lieux. Il ne reste plus rien de ce musée qui illustrait la grandeur des sites archéologiques de la région : Nimroud, l’ancienne cité assyrienne, Hatra, la grande ville de l’empire Parthe protégée par l’Unesco, sans oublier la mythique Ninive dont le site coïncide avec les faubourgs de la deuxième ville d’Irak.
Zaid Ghazi Saadallah contourne au rez-de-chaussée une cavité creusée par un explosif. C’est là où se trouvait autrefois le socle du trône du roi assyrien Assurnasirpal II. Le directeur s’arrête de pierre en pierre. On aperçoit au sol des fragments d’écriture sumérienne, frappée au marteau. On devine d’anciens reliefs, stèles et socles. Tout a été saccagé au marteau-piqueur et à la masse. Dans une salle, des boîtes renferment des fragments qui attendent d’être réassemblés.
Des originaux et des copies
La diffusion d’une vidéo de Daech, en février 2015, montrant le saccage du musée avait fait le tour du monde. L’Unesco dénonça la destruction de grandes statues provenant du site de Hatra. On sait depuis que d’autres statues, anéanties ce jour-là, n’étaient que des copies en plâtre dont les originaux se trouvent au musée national irakien à Bagdad.
Mais le directeur a vu son univers s’effondrer. "La destruction, c’est irremplaçable, dit-il. Oui j’ai beaucoup pleuré. Quand j’ai vu le film (de Daech) sur YouTube, je suis resté enfermé deux mois chez moi pour comprendre ce qui se passait. La famille voulait que je sorte de ma chambre, mais je restais avec ma douleur à l’intérieur."
"S’il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus d’homme, poursuit-il. Un proverbe arabe dit : dans le passé se cache l’avenir."
Des pièces mises en sécurité
Pour des experts comme le Belge Eric Gubel, ancien directeur des Musées royaux d’art et d’histoire, le musée de Mossoul n’était pas un grand musée.
Construit en 1952, il avait souffert du manque d’investissement du temps de Saddam Hussein et était conçu surtout comme un centre didactique aidant les touristes visitant les sites archéologiques de la région.
De plus, précise Zaid Saadallah, il avait été fermé au moment de l’invasion américaine en 2003 et 1 055 de ses pièces avaient été mises en sécurité à Bagdad cette année-là. Mais quand Daech a pris le contrôle de Mossoul, le musée s’apprêtait à rouvrir, après de longues années de tergiversations.
La direction s’est toutefois mise en rapport avec Interpol après avoir identifié "97 pièces" qui ont été volées par Daech. Car d’après elle, "la vidéo de propagande masquait le vol".
L’expert italien Paolo Brusasco, de l’Université de Gênes, est arrivé à la même conclusion dans une étude publiée en 2016. Selon lui, contrairement aux sculptures de Hatra qui ont été détruites au marteau, "la plupart des objets assyriens du musée de Mossoul sont trafiqués par l’État islamique sur le marché des antiquités en ce moment".
L’appel d’Interpol
Interpol a publié une liste de 94 objets volés dont un relief en marbre présentant le fameux lion de Nimroud ainsi qu’un coffre en teck datant de la période arabe avec des inscriptions du Coran. Le musée reçoit aussi l’assistance du Smithsonian de Washington et du Louvre de Paris.
En août dernier, la police irakienne a arrêté à Mossoul un membre de l’État islamique qui a été reconnu dans la vidéo de 2015. On le voyait, armé d’une masse, s’attaquer à une statue assyrienne. L’organisation terroriste considérait ces sculptures comme "des idoles pour les peuples d’autrefois qui les adoraient au lieu d’adorer Dieu".
Après le saccage, le groupe avait fait du musée un centre de collecte d’impôts. Selon l’agence Reuters, les soldats irakiens ont retrouvé au sous-sol une pile d’enveloppes frappées par la Diwan Zakat, le département de la taxe islamique. L’enveloppe devait contenir "les taxes imposées par Dieu sur l’argent des riches". Le groupe avait d’autres sources de financement, dont le trafic de pétrole, d’antiquités et les rançons après enlèvement.
Une exposition d’art contemporain
Différents projets sont en cours pour redonner vie au musée, notamment en dressant l’inventaire des objets détruits, en les recréant en dimension 3D et en formant des experts irakiens à la conservation des antiquités. Une exposition d’art contemporain y a été organisée en janvier dernier, dans une allée rénovée de l’édifice.