En Inde, les naufragés du coronavirus vivent un calvaire: "Je n’ai même pas de quoi téléphoner à ma famille"
Publié le 25-03-2020 à 21h47 - Mis à jour le 30-03-2020 à 15h10
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Dimanche, le Premier ministre Modi avait décrété une journée de couvre-feu facultatif. Les autorités voulaient préparer l’opinion publique à un plan drastique. Le scénario est devenu réalité en moins de quarante-huit heures.
Depuis mardi à minuit, le confinement est obligatoire. 1,3 milliard de personnes doivent rester chez elles pour les trois prochaines semaines. "D’après les experts médicaux, une période d’au moins vingt et un jours est indispensable pour briser la chaîne de transmission du virus. Si nous n’arrivons pas à renverser la situation d’ici là, la nation, mais aussi votre famille, vont être ramenées 21 ans en arrière", a averti Narendra Modi d’un ton sans réplique lors d’un discours à la nation mardi soir.
L’Inde n’est pas frappée de plein fouet comme l’Europe. Elle ne déplore encore que neuf victimes. Mais le gouvernement fédéral veut éviter une guerre sanitaire qu’il juge perdue d’avance. Le pays n’a qu’un lit d’hôpital pour 2 000 habitants d’après l’OCDE.
New Delhi, ville fantôme
Sitôt le discours du Premier ministre terminé, la panique a saisi une partie de la population. À Bombay, Delhi, Calcutta, Lucknow ou encore Ahmedabad, certains se sont rués sur les supermarchés pour stocker des provisions. Les directives officielles autorisent à acheter de la nourriture, de l’essence et des médicaments. Mais les restrictions de circulation semblent créer des problèmes d’approvisionnement. Mercredi, des magasins d’alimentation de la région de Delhi étaient fermés.
La police a posé des barrages sur les grands axes de Delhi et sa banlieue. Le regard crispé, les forces de l’ordre demandent aux automobilistes qui s’aventurent dans une cité devenue fantôme pourquoi ils enfreignent le confinement. Les sanctions encourues sont sévères. Des journalistes et des travailleurs précaires ont raconté avoir été battus par la police.
Si la classe moyenne urbaine supporte la situation, des millions de travailleurs migrants vivent un calvaire. Brusquement au chômage dans une économie paralysée, ces petites mains, toujours payées à la journée, tentent de rentrer dans leur village à pied quitte à parcourir des dizaines de kilomètres. Les trains et les bus sont suspendus. "Je vous en prie, emmenez-moi jusque dans mon quartier", supplie un homme d’une vingtaine d’années qui marche vers Gurgaon, à 30 km de Delhi sous un soleil de plomb.
D’autres errent dans les quartiers pauvres. Jitender Mandal est originaire d’un petit village près de Gwalior, à 350 km au sud. "Je ne gagne plus rien depuis cinq jours. Je n’ai même pas de quoi téléphoner à ma famille", se lamente ce naufragé du coronavirus venu chercher un peu d’ombre sous un abribus. Son visage est marqué par la peur et le désespoir. Il n’a pour seule nourriture que quelques fruits dans un sac qu’il serre contre lui. La question du prochain repas le hante : "Il y a un temple hindou près d’ici. D’habitude, ils donnent à boire et à manger. Mais avec le confinement, les lieux de culte sont fermés. Qui nous donnera de quoi survivre ? Dieu ? Vous n’auriez pas du travail pour moi ? Quelques roupies ?"
Le gouvernement de Delhi organise depuis deux jours des distributions de repas dans des tentes pour sans-abri, avec le risque de favoriser l’épidémie. Dans ces refuges, comme dans les bidonvilles, la distance d’un mètre est un luxe. Ici, c’est le virus ou la faim.