Washington accentue la pression, au risque d’apprauvrir les Syriens
Une loi américaine censée protéger la population pourrait aggraver ses conditions de vie.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/907af01e-7b9c-4133-bc5e-d4804534654d.png)
Publié le 17-06-2020 à 21h37
:focal(2326x1565:2336x1555)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/RMMQ7ZITQFB45CWGHRCYASXABA.jpg)
Une loi américaine censée protéger la population pourrait aggraver ses conditions de vie.
C’est le plus important arsenal de sanctions économiques et financières jamais imposé par les États-Unis de Donald Trump à la Syrie de Bachar al-Assad. Ces nouvelles restrictions entrées en vigueur ce mercredi s’ajoutent aux nombreuses sanctions prises depuis le lancement de la terrible répression des autorités de Damas contre la population au printemps 2011. Car c’est bien là leur objectif déclaré : "protéger les civils de Syrie" d’un régime qui n’a pas hésité par la suite à organiser des sièges et des bombardements de nombreuses zones habitées du pays au cours des neuf années d’une guerre civile hors normes et toujours en cours. Le conflit syrien a induit l’une des pires catastrophes humanitaires contemporaines, provoquant des vagues de réfugiés et de déplacés, par millions, et la mort de 116 000 civils parmi les 384 000 tués recensés au total par l’Observatoire syrien des droits de l’homme dans son dernier bilan publié mi-mars.
Une démarche de poursuites
Votée en décembre mais initiée dès 2016, la "loi César" qui encadre ces sanctions vise à installer une "pression maximale" sur le gouvernement de Damas - un peu à la manière de celle mise sur l’Iran. L’idée initiale était de forcer le pouvoir syrien à des concessions politiques et de favoriser une transition vers un régime plus inclusif d’autres tendances. Cette loi s’inscrit en outre dans une démarche visant à poursuivre les responsables de crimes de guerre allégués ou toute personne impliquée dans des bombardements de civils - une condition préalable prévue par la loi pour lever les sanctions.
Le surnom de la loi rend hommage au pseudonyme du photographe syrien qui a fui son pays avec sous le bras plus de 50 000 clichés issus de son travail de documentation dans les prisons syriennes pour le compte de l’appareil sécuritaire. Human Rights Watch en avait tiré un rapport en 2015 complétant son fameux "Archipel de la torture", lequel exposait au grand jour les pratiques brutales et traitements inhumains ayant cours dans les centres de détention syriens, et révélait le caractère institutionnalisé de ceux-ci.
Au bord de l’effondrement
Mais en mettant une telle pression sur le régime sans réel moyen d’en contrôler les effets, certains responsables et ONG internationaux s’inquiètent du fait que ces sanctions pourraient, contrairement au but voulu, précipiter les Syriens dans une situation plus précaire encore que celle où ils se trouvent. Ces sanctions devraient accélérer le déclin de l’économie, déjà au bord de l’effondrement, avec des répercussions importantes sur les conditions de vie de la population confrontée à une érosion des salaires ou à des pertes d’emplois.
D’après l’envoyé spécial de l’Onu Geir Pedersen, la moitié de la population syrienne souffre de pénuries variées et huit Syriens sur dix vivent sous le seuil de pauvreté. L’inflation et les dévaluations de la monnaie sont également déjà à l’œuvre. D’après M. Pedersen, la livre syrienne (ou lira) a tout récemment perdu autant de valeur en une semaine que durant les neuf années précédentes, avant de reprendre un peu - soit 70 % depuis avril. Les hausses de prix des aliments et des médicaments devraient s’accentuer à mesure que les chaînes d’approvisionnement risquent d’être davantage perturbées. En un an, les prix moyens ont grimpé de 133 %.
La loi César élargit considérablement la portée des sanctions contre la Syrie - les premières remontent à 1979, du temps de Hafez al-Assad, le père de Bachar. Jusqu’ici, les sanctions économiques américaines visaient plus de quatre cents personnalités des sphères politiques et économiques ainsi qu’une bonne centaine d’entreprises (dont des banques). L’arsenal promulgué mercredi prévoit des mesures contre des entités étrangères collaborant avec le gouvernement syrien, dont des entreprises russes ou iraniennes actives en Syrie, Moscou et Téhéran étant les deux principaux appuis étrangers d’Assad. Les secteurs de la construction et de l’immobilier sont concernés en particulier, ce qui ne fait pas les affaires de Damas qui tente de démarrer la reconstruction du pays, ravagé à une échelle inédite par la guerre.Vincent Braun