Crise économique au Liban : "Le pays s’effondre sous nos yeux"
À Beyrouth, la faillite du pays transpire à chaque coin de rue. Des feux de signalisation qui ne fonctionnent plus, des trottoirs envahis par les mendiants, des devantures de magasins fermées…
Publié le 06-07-2020 à 13h22 - Mis à jour le 06-07-2020 à 13h23
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Frappée par l’inflation, la population, impuissante, plonge dans la dépression.
Des feux de signalisation qui ne fonctionnent plus, des trottoirs envahis par les mendiants, des devantures de magasins fermées… À Beyrouth, la faillite du pays transpire à chaque coin de rue.
Dans la grande artère commerçante de Nabaa, quartier pauvre situé en bordure de la capitale, un commerce sur deux a tiré ses volets métalliques. "Plus personne ne travaille", commente un passant. Ceux qui sont encore ouverts tournent a minima, comme cette boucherie qui a perdu 50 % de son chiffre d’affaires. "Les gens rentrent, s’enquièrent des prix et repartent aussitôt", se lamente Michel Mawad, son propriétaire. Le coût d’un kilo de viande a doublé.
Le pays est entraîné depuis l’automne dans une terrible spirale inflationniste déclenchée par la chute brutale de sa monnaie, qui a perdu 80 % de sa valeur face au billet vert, provoquant la dévaluation de facto des salaires de la population. En même temps, les prix sont restés les mêmes, le pays demeurant affreusement dépendant de ses importations en dollars.
"Se nourrir est le seul objectif"
Derrière le comptoir, un employé tend une petite boule de bœuf haché emballée dans du plastique à une cliente. "J’ai pris 200 grammes pour toute la semaine. Avant j’achetais 2 kilos", affirme Marie, une fonctionnaire, dont le revenu, qui équivalait à près de 630 dollars avant la crise, n’en vaut plus que 115 aujourd’hui.
En l’espace de quelques mois, la viande est devenue un produit de luxe : l’armée a annoncé la semaine dernière la supprimer des repas de ses soldats. Plus de 60 % des bouchers ont mis la clé sous la porte. Même les fruits et légumes ne sont plus à la portée des foyers les plus démunis.
"Mes filles adorent la pastèque, elles pleurent parce que je ne peux plus leur en acheter", confie en larmes cette veuve qui a perdu ce qui constituait son maigre gagne-pain : la collecte de canettes usagées récupérées dans les poubelles qu’elle revendait à un camion de recyclage. "Se nourrir est devenu le seul objectif des familles", constate Hayat Fakreddine, une résidente du quartier qui vient en aide aux ménages en difficulté. "Les gens vendent tout ce qu’ils peuvent, leurs climatiseurs, même leurs frigidaires, qu’ils remplacent par un plus petit", assure la Libanaise, qui se dit elle aussi "touchée par la crise". "Les associations locales pour lesquelles je travaille n’ont plus de projets. Mon téléphone est cassé, je n’ose pas le réparer."
Loyers et scolarités impayés
À quelques rues de là, une famille vient d’emménager dans un immeuble qui menace de s’écrouler. "Notre ancien propriétaire nous a mis dehors parce qu’on ne pouvait plus payer le loyer", se larmoie Hosna, le visage encerclé d’un voile noir à motifs blancs. Son mari a perdu son emploi de contremaître pour une entreprise de peinture et travaille désormais, au compte-gouttes, comme chauffeur de taxi. Ses trois enfants, qui étaient scolarisés dans une école payante, ont rejoint le public, où 70 000 élèves issus du privé ont déjà basculé, une majorité écrasante de parents n’étant plus en mesure de s’acquitter des frais d’écolage.
Le secteur de l’enseignement est en pleine hécatombe : des écoles ferment, des enseignants sont licenciés, 13 000 professeurs n’ont pas reçu leurs paies depuis trois, voire quatre, mois, et 3 000 pourraient être remerciés, s’alarme Ziyad Baroud, ancien ministre et avocat du syndicat des enseignants.
Vague de suicides
Alors que le pays se dégrade à vue d’œil, aucune solution à la crise ne se profile à l’horizon. Les négociations amorcées en mai avec le Fonds monétaire international (FMI) piétinent. Le 29 juin, un poids lourd de ces tractations a claqué la porte : le directeur du ministère des Finances libanais, Alain Bifani, a accusé la classe politico-financière d’entraver sciemment le sauvetage du pays.
Plongée dans un profond désarroi, la population assiste impuissante à l’effondrement du pays. "Le Liban s’écroule sous nos yeux", décrit Ghassan, retraité. En 48 h d’intervalle, trois suicides ont été recensés, dont un en plein centre-ville de Beyrouth : vendredi, un homme s’est tué d’une balle dans la tête devant un café, après avoir laissé accroché sur sa poitrine un extrait de son casier judiciaire, vierge, accompagné d’une phrase extraite d’une célèbre chanson arabe. "Je ne suis pas un mécréant, c’est la faim qui est une mécréante", pouvait-on lire. Âgé de 60 ans, ce père de famille n’arrivait plus à joindre les deux bouts.