Les explosions se multiplient en Iran qui pourrait bien être victime d’une "guerre secrète"
Des explosions présentées comme des accidents se multiplient, alimentant la thèse d’une campagne de sabotage.
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Publié le 01-08-2020 à 12h38 - Mis à jour le 09-09-2020 à 11h45
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Cette semaine, huit camions-citernes ont brûlé dans un garage près de Kermanchah, une ville d’environ un million d’habitants située dans l’ouest de l’Iran. Un malheureux "accident" selon le gouverneur local, qui a expliqué aux médias que l’incendie de ce mardi 28 était survenu lors de la réparation du moteur de l’un des poids lourds avant de se propager aux autres véhicules. L’incident tiendrait en quelques lignes dans la rubrique des faits divers, n’était leur multiplication ces derniers temps aux quatre coins du pays… Depuis la mi-juin, il ne se passe pas une semaine sans qu’un incendie, ou une explosion, soit rapporté dans diverses installations, surtout industrielles et liées à des secteurs sensibles, voire stratégiques. Les autorités ont tendance à minimiser les événements, invoquant des pannes ou la vétusté pour accréditer la cause accidentelle des incendies et explosions. Mais certains témoignages évoquant des détonations ainsi que des images satellites fragilisent les versions officielles et donnent lieu aux rumeurs les plus folles.
La série avait débuté par une explosion rapportée dans la nuit du 25 au 26 juin à proximité d’un site militaire à l’est de Téhéran, le complexe de Khojir, près de celui de Parchin, dédié au développement et à la production de missiles balistiques. Le 30 juin, une autre, apparemment due au gaz dans une clinique du nord de la capitale, fait dix-neuf morts. Puis ce fut le complexe nucléaire de Natanz, l’un des principaux du pays, où un incendie a ravagé un bâtiment le 2 juillet, avant l’aéroport de Garmdareh (près de Téhéran) où des déflagrations retentissent le 10 juillet. Puis, une explosion sur un site pétrochimique à Mahchahr (sud-ouest), sans doute due à la rupture d’une canalisation de gaz ; l’explosion d’un générateur de la centrale électrique d’Ispahan le 19.
"La liste des sites touchés correspond à tous les sujets de préoccupation déclarés par les États-Unis et Israël relatifs à la menace que représente pour eux le programme nucléaire iranien", estime le sociologue Clément Therme, chercheur au sein de l’équipe Savoirs nucléaires à Sciences Po Paris. "Nous en sommes revenus à une situation comparable à celle d’avant l’accord nucléaire", dit-il. Suite au retrait américain du plan d’action conclu en 2015 afin de ralentir le programme nucléaire de l’Iran, Téhéran a repris des activités atomiques en s’affranchissant de certaines limites convenues dans l’accord. Au grand dam d’Israël, qui craint pour sa sécurité.
Il n’est donc pas exclu que les incidents observés sur ces sites sensibles soient le fruit d’opérations de sabotage clandestines de la part de l’État hébreu, avec ou non l’appui de Washington. Les services israéliens et américains n’ont d’ailleurs plus rien à prouver en la matière. On se souvient de l’épisode Stuxnet, révélé il y a dix ans. Ce ver informatique développé en commun et introduit dès 2007 dans le complexe nucléaire de Natanz, avait endommagé des centaines de centrifugeuses, ces machines à produire de l’uranium lourd nécessaire à la production d’une bombe atomique.
L’incident récent le plus emblématique s’est encore déroulé sur le site de Natanz (à 200 kilomètres au sud-est de Téhéran), haut lieu du programme nucléaire iranien, dédié à l’enrichissement de l’uranium. Après l’important incendie qui a ravagé un bâtiment dans la nuit du 2 au 3 juillet, l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) avait d’abord présenté celui-ci comme un "entrepôt", avant d’indiquer qu’il était prévu pour produire "davantage de centrifugeuses avancées", sans préciser si leur assemblage y avait déjà commencé. L’OIEA avait souligné que l’incendie n’avait pas affecté les opérations actuelles d’enrichissement de Natanz mais qu’il pourrait ralentir, à moyen terme, le développement et la production des machines de nouvelles générations. Le Conseil suprême de sécurité nationale avait aussi indiqué avoir établi les causes précises de l’accident mais refusé, pour "raisons de sécurité", de les dévoiler avant le "moment opportun". Fin août, l'OIEA avait finalement validé la thèse du sabotage, avant d'annoncer début septembre le lancement d'un projet d'usine de centrifugeuses avancées, destinée à remplacer les installations détruites.
La thèse du sabotage étranger, dont la presse israélienne s’est fait l’écho, avance qu’Israël - avec qui l’Iran est à couteaux tirés depuis des décennies - ne supporte pas que l’Iran avance à nouveau plus vite dans le développement d’un possible arsenal nucléaire, que l’accord de 2015 entendait mettre en veilleuse. D’où la nécessité de mettre en œuvre des actions de sabotage ciblées visant à freiner par la force ce qui l’est bien moins en raison du non-respect de l’accord.
Les explosions de la nuit du 10 juillet, qui ont provoqué des coupures de courant dans plusieurs localités de la banlieue ouest de Téhéran, ont donné lieu à des spéculations dignes d’un film d’espionnage. D’après le réseau saoudien Al Arabiya, elles auraient touché un dépôt de missiles des Gardiens de la révolution (pasdarans) au sud-ouest de la capitale. Des sources israéliennes évoquent, elles, un bombardement par des F-35 furtifs. Cette thèse, relayée par le think tank European Strategic and Security Center (Esisc) basé à Bruxelles, prétend que l’attaque aurait visé, en premier lieu, des centrales électriques afin de neutraliser les radars et de permettre, dans un second temps, de bombarder un chargement de missiles sur le point d’être embarqué sur un vol à destination de Damas sur l’aéroport de Garmdareh, contrôlé par les pasdarans. Là aussi, Israël a tout intérêt que ces armes n’arrivent pas en Syrie voisine.
De nombreuses interprétations de ces événements existent mais il est difficile de prouver si les thèses accidentelles avancées par les autorités iraniennes - dont le manque de transparence est notoire - masquent des opérations de sabotage. Pour Clément Therme, la vraie question concerne toutefois moins la réalité de cette "guerre secrète" que le débat qu’elle suscite. "La question est de savoir s’il faut chercher un compromis par la voie diplomatique avec un régime difficile et non transparent comme la République islamique ou si, par manque de confiance, il faut recourir à des actions clandestines tous azimuts, sans rechercher une confrontation militaire ouverte mais en prenant le risque d’une escalade et donc d’une confrontation réelle, puisque l’Iran peut toujours réagir."