"On n'en finira jamais dans ce pays": au lendemain du drame, le Liban panse ses blessures
Au lendemain des deux explosions qui ont ravagé Beyrouth, l'heure est au premier bilan.
Publié le 05-08-2020 à 22h02 - Mis à jour le 05-08-2020 à 22h34
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Il suffit de circuler dans les rues de Beyrouth et de sa périphérie pour réaliser le drame vécu mardi soir par les Libanais, malgré un soleil trompeur qui éclaire la ville de cette lumière si particulière. Pas une rue, pas un quartier n’a échappé aux gigantesques explosions survenues au port de Beyrouth qui ont, l’une après l’autre, soufflé toute la partie orientale de la capitale.
Au lendemain de la catastrophe, le mohafez (gouverneur) de Beyrouth, Marwan Abboud, délivrait de premières estimations affolantes : "entre 3 et 5 milliards de dollars, peut-être même plus", de dégâts matériels. À cela s’ajoutent "entre 250 000 et 300 000 habitants [qui] se retrouvent désormais sans abri", leurs maisons ayant été détruites ou étant trop endommagées pour être encore habitables. Plusieurs dizaines de personnes ont passé leur nuit dans la rue, sans savoir où aller.
Si dans la nuit de mardi la sidération l’emportait chez la majorité des Beyrouthins, face à cet énième coup du sort, mercredi, l’heure était plutôt au premier bilan.
"On n’en finira jamais"
Dans les rues du quartier chrétien d’Achrafieh, les façades d’immeubles illustrent à elles seules la violence des déflagrations. Presque toutes les vitrines des magasins ont été soufflées par la puissance des explosions, dévoilant les stocks de marchandises. Mobilisant ses employés durant toute la nuit, une grande surface essaie d’estomper les traces pour recevoir les clients. Plus loin, un glacier a vu sa devanture se volatiliser, la boutique étant désormais ouverte à tous les vents. "Quel gâchis !", s’exclame Tony, en secouant la tête, alors qu’il s’affaire devant son épicerie endommagée. "Comment voulez-vous que je finance les réparations ? La crise économique, le coronavirus et maintenant ça ! On n’en finira jamais dans ce pays", lance-t-il, amer.
Les immeubles d’habitation dévoilent eux des appartements sans vitre ni balcon, avec parfois des morceaux de verre encore attachés à la structure. Sur les trottoirs, des tapis de débris de verre ont commencé à être déblayés, dans une vaine tentative d’effacer le cauchemar de la veille.

Trois hôpitaux privés situés dans la zone limitrophe du port ont subi de lourds dégâts empêchant leur fonctionnement, évalués "à plusieurs millions de dollars chacun", selon le président du syndicat des hôpitaux privés, Sleiman Haroun. "Les hôpitaux sont saturés, même si nous avons pu gérer la situation en transférant des patients dans les régions", explique-t-il. Le responsable s’inquiète surtout de l’accès des hôpitaux aux dispositifs médicaux les plus basiques, comme les kits de suture ou les bandages. "Nous avons utilisé tous nos stocks, ce qu’il y avait au port a disparu en fumée. Nous n’avons pas besoin d’hôpitaux de campagne, mais de matériel", dit-il.

À l’ouest du port, les luxueuses tours du centre-ville n’ont pas échappé non plus aux dommages. Des prestigieuses enseignes qui occupent les rez-de-chaussée, il ne reste souvent plus que les maigres structures métalliques qui soutenaient les vitrines. Quant aux quartiers à l’architecture typique de Gemmayzé et Mar Mikhael, ils ont été presque rayés de la carte. L’armée et les forces de sécurité en verrouillent les accès avec leurs véhicules assortis de fils barbelés. Certains immeubles très atteints menacent de s’effondrer.
Dans les zones toutes proches du port flotte une odeur âcre, sans doute toxique, qui brûle la gorge, tandis que les hélicoptères survolent dans un ballet incessant les carcasses des bâtiments encore fumantes. Rola, qui a ouvert une boutique de décoration dans le quartier il y a seulement quelques mois, attend l’autorisation de pouvoir se rendre sur les lieux. La jeune femme a vu tout son investissement partir en fumée en l’espace de quelques minutes. "Je n’en reviens pas, ça commençait à marcher auprès des clients. Je n’ai plus les moyens de financer tout cela aujourd’hui", se lamente-t-elle.
Saad Hariri pris à partie
Alors que les responsabilités de cette véritable catastrophe nationale pour le pays n’ont pas encore été établies avec certitude, les Libanais pourraient bien faire payer la facture aux politiques taxés d’incompétence, si la piste de la négligence se confirme. Signe d’une colère populaire latente, l’ex-Premier ministre Saad Hariri a été pris à partie violemment par des groupes de manifestants, alors qu’il se rendait dans les zones sinistrées du centre-ville. Des échauffourées violentes opposant ses partisans à des manifestants anti-pouvoir ont éclaté, laissant craindre une nouvelle flambée de colère.