Des jeux olympiques à Fukushima pour panser les morsures du désastre
Publié le 11-03-2021 à 06h49 - Mis à jour le 11-03-2021 à 14h43
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Ce n’est pas un hasard si le gouvernement japonais implique Fukushima, la ville et la région du même nom, dans l’organisation d’un des événements les plus médiatisés de la planète, les Jeux olympiques (prévus pour cet été). En y organisant des épreuves mais aussi et surtout en y rallumant ce 25 mars la flamme olympique (éteinte l’an passé pour cause de pandémie), laquelle rejoindra ensuite Tokyo après avoir traversé une cinquantaine de départements nippons.
Une opération de communication XXL pour le gouvernement japonais, mais aussi pour l’opérateur Tepco (Tokyo Electric Power Company), l’exploitant de la centrale, qui a financé la reconstruction du "J-Village", l’Académie de l’Association japonaise de football, le lieu où la flamme reprendra son périple. Situé à 19 kilomètres au sud de la centrale, le J-Village a servi de "base arrière" à l’opérateur pour gérer le désastre, et une partie du démantèlement de la centrale.
Renaissance impossible
L’opération de communication se révèle délicate : avec les restrictions de spectateurs, la dure réalité des villages de Naraha et Hirono, où se trouve le J-Village, pourrait se faufiler à travers les mailles médiatiques, tant les villes côtières de la région ont souffert et demeurent encore aujourd’hui dépeuplées. "C’était des villes au tissu urbain mixte, de vieilles bâtisses qui se mêlaient avec de petites échoppes des années 1970, où s’entrelaçaient de petites ruelles. Mais le tsunami a tout ravagé et, plutôt que de prendre le temps de reconstruire ces petites villes, en y mettant un peu d’efforts pour refaire ce qui était en place avant, tout a été passé au bulldozer, on a fait table rase du passé, tout bitumé", dépeint Cécile Asanuma-Brice, cheffe adjointe du bureau régional de recherche du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à Tokyo, et autrice de Fukushima, dix ans après (éditions de La Maison des sciences et de l’homme). "Pour les gens qui reviennent, c’est un nouveau choc, poursuit-elle. On leur a vendu une renaissance et, quand ils rentrent là, c’est d’une violence inouïe. Il n’y a plus rien de ce qu’ils connaissaient, ni les gens ni les bâtiments. C’est comme dans la quatrième dimension, un décor."
Au-delà de la région de Fukushima, les Jeux ont aussi vocation à réconcilier la société japonaise, heurtée de plein fouet par la catastrophe. "Le gouvernement n’a pas mis en place une réelle politique d’évacuation qui aurait consisté à retrouver aux réfugiés un logement ou un emploi ailleurs, déplore Cécile Asanuma-Brice. Et donc les gens ont dû bien souvent avoir recours à la justice pour pouvoir obtenir des subventions qui leur permettaient d’avoir une vie dans un refuge - mais pas de retrouver un emploi. Cela a créé des différences très importantes entre les indemnisations des uns et des autres, et donc des jalousies de la part des populations qui les ont accueillis. Notamment quand, en 2014, le gouvernement a mis en place une politique de la communication sur le risque pour le retour (en disant qu’ils pouvaient rentrer). Les habitants des communes d’accueil ont alors commencé à se dire que, puisque le gouvernement disait qu’il n’y avait plus de problèmes, ces personnes qui recevaient des subsides pouvaient en fait très bien rentrer chez elles."
"Ainsi, de nombreux réfugiés sont passés du statut de victimes à assistés sociaux. Cela a généré des attitudes discriminatoires extrêmement fortes, qui ensuite vont être reprises par le discours officiel pour dire : ‘Vous voyez, le refuge, c’est dramatique, cela génère des situations absolument ingérables, il faut absolument rentrer.’"
Si, politiquement, le pays a retrouvé une forme de stabilité avec l’élection, en 2013, du Premier Ministre Shinzo Abe (avec un taux d’abstention record), les fissures de la société japonaise demeurent toujours visibles malgré les discours promouvant le renouveau d’un pays meurtri. "Dans chacune de ces communes, ils ont pris le soin d’installer des mémoriaux - en japonais, on appelle cela des musées de la mémoire, décrit Cécile Asanuma-Brice. Il y a des parcours où on vous fait revivre systématiquement des films - passage de la vague, accident nucléaire -, c’est vraiment le processus de résilience que l’on cherche à reproduire partout. Et en fin de parcours on vous montre que l’accident nucléaire, finalement, fait partie de cette grande aventure de l’industrialisation, qu’il y en a eu avant et qu’il y en aura après - les photos sont en noir et blanc, on a déjà tourné la page pour vous. On relance un défi à la nature, on s’en remet au corps des ingénieurs pour rebâtir et on construit une digue énorme pour protéger le mémorial en cas de nouveau tsunami. En fait, il n’y a pas beaucoup de leçons qui ont été tirées…"