Fukushima a laissé derrière lui un chantier titanesque
Quels sont les principaux défis posés par ce chantier ? Où en sont les travaux ?
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Publié le 11-03-2021 à 06h50 - Mis à jour le 11-03-2021 à 11h48
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Inédit par son ampleur, l’accident nucléaire de Fukushima laisse derrière lui un chantier titanesque. Pilotés par l’opérateur Tepco, sous la supervision des autorités et du ministre de l’Industrie japonais, ces travaux ont enregistré certains progrès au cours des dix années qui se sont écoulées, respectant jusqu’à présent la feuille de route établie pour mener à bon port le démantèlement et l’assainissement du site. La volonté politique et les moyens nécessaires sont au rendez-vous. Mais, dans la meilleure des hypothèses, cet objectif demandera encore plusieurs décennies avant de se concrétiser, explique Patrice François, expert à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français.
1 Quels sont les principaux défis posés par ce chantier ?
Quatre questions majeures doivent être résolues, observe notre interlocuteur. La première consiste à assurer la sûreté des trois réacteurs dans lesquels se trouvent les cœurs qui ont fondu, perçant les cuves de protection. La deuxième, à récupérer les assemblages de combustibles usés qui étaient entreposés dans les piscines de refroidissement endommagées par des explosions survenues suite à la production d’hydrogène lors de la dégradation des gaines en zirconium qui entourent le combustible des cœurs.
Enfin, il faut également assurer la gestion de l’eau contaminée injectée en permanence dans les cuves percées des réacteurs 1, 2 et 3 pour les refroidir et celle des nombreux déchets solides (terres, végétations, débris de bâtiments et d’équipements techniques…) générés par la remise en état du site. Ces deux derniers points constituent un enjeu important en raison du manque d’espace d’entreposage et de la nécessité de planifier la mise en œuvre d’installations de traitement et de conditionnement de ces déchets - qui, selon leur nature, resteront dangereux pour des périodes de temps allant de quelques décennies à quelques milliers d’années - dans les règles de l’art.
2 Où en sont les travaux ?
En ce qui concerne le refroidissement du corium présent pour partie en cuve et dans l’enceinte de confinement au niveau du radier, la situation est aujourd’hui stabilisée grâce à l’injection quotidienne d’environ 80 m3 d’eau douce dans chacun des trois réacteurs endommagés. "Cela signifie que les conditions de température - de l’ordre de 20 à 30 °C - et celles qui conduisent à la génération d’hydrogène sont maîtrisées", commente le spécialiste de l’IRSN.

Du côté des piscines, les systèmes de refroidissement ont pu être rétablis et ne nécessitent pas d’injection d’eau en continu. Les 1535 éléments de combustibles usés stockés dans la piscine du réacteur n°4 (qui, comme les réacteurs 5 et 6, était à l’arrêt au moment où le tsunami est survenu et n’a pas été endommagé) ont été entièrement retirés. Le retrait de ceux qui se trouvaient dans la piscine du réacteur n°3 devrait être terminé en avril de cette année, alors que l’objectif de Tepco est d’avoir "vidé" l’ensemble des piscines des six réacteurs de ces éléments combustibles d’ici à 2031, soit vingt ans après la catastrophe.
3 Quelles sont les futures échéances ?
À ce stade, on en est donc toujours dans la phase de stabilisation et de sécurisation des installations. "T epco n’a pas communiqué en détail sur le plan de démantèlement, précise M. François. On sait seulement qu’il est prévu que celui-ci soit terminé à l’horizon 2050." Ce qui constitue, selon lui, un objectif assurément "ambitieux" entaché d’un grand nombre d’incertitudes.
Parallèlement, l’opérateur de la centrale va être confronté à l’épineuse gestion des déchets qui s’accumulent sur le site. L’eau utilisée pour les opérations de refroidissement tout d’abord, à laquelle s’ajoutent des infiltrations venues de la nappe phréatique, celles issues des précipitations naturelles (pluie, neige) et un résidu d’eau de mer qui a pénétré dans les bâtiments lors du tsunami. Le tout représente aujourd’hui un volume de 1 200 000 m3 entreposé dans des réservoirs extérieurs, alors que les capacités d’entreposage sur site atteignent leurs limites. Une quantité considérable donc, qui même après filtration conservera un certain niveau de contamination au tritium.

Deux scénarios de référence ont été retenus. Le premier consiste à rejeter cette eau en mer. Le second est le rejet atmosphérique après évaporation.
Si la première solution a les faveurs des autorités japonaises, elle se heurte à un problème d’acceptation sociale. Les communautés de marins pêcheurs notamment et plusieurs pays voisins n’ont pas caché leur hostilité à cette option qui demanderait probablement de revoir à la hausse les seuils de tritium autorisés pour le rejet en mer afin d’accélérer le tempo. En effet, si l’on se base sur les seuils autorisés avant la catastrophe, le rejet en mer prendra vingt à trente années afin de respecter la quantité maximale de rejets annuels autorisée. La formule de l’évaporation, pour sa part, exigera la construction d’installations adaptées.
Pour ce qui est des déchets solides, Tepco a procédé à une projection à dix ans qui montre que ceux-ci devraient représenter un volume là encore considérable : 700 000 m3. La première étape va donc consister à réduire ces volumes par compactage et/ou incinération. Des installations qui devraient être terminées dans le courant de cette année ou de 2022, l’objectif de Tepco étant de transférer l’ensemble des déchets dans des infrastructures d’entreposage dignes de ce nom d’ici à 2028. Actuellement, ceux-ci sont en effet conditionnés sous forme de colis entreposés sur des aires extérieures et exposés aux aléas météorologiques.
Quant à leur gestion finale, elle n’est pas encore connue à l’heure actuelle, mais elle nécessitera selon le type de déchets et leur niveau de radioactivité de disposer d’installations de stockage de longue durée en surface, partiellement enterrées ou bien enfouies dans une couche géologique profonde.
4 De nombreux défis techniques
Une autre difficulté non négligeable entre encore en ligne de compte, complète Patrice François, celle de développer des outils technologiques qui permettront à la fois d’investiguer le cœur des réacteurs et d’évaluer la faisabilité des opérations de récupération du corium (le magma qui s’est constitué suite à la fonte des cœurs de réacteurs), mais aussi de procéder à ces opérations qui ne pourront être réalisées qu’à l’aide de robots téléopérés.
Or, pas plus que les humains, les équipements électroniques embarqués dans ces machines n’apprécient les forts rayonnements radioactifs. Leur durée de vie va de quelques heures à quelques jours. Ils devront en outre être créés "sur mesure" pour s’adapter aux différents cas de figure posés par les réacteurs endommagés. Certains devront, par exemple, peut-être être capables de travailler dans un environnement "sous eau". En 2018, Tepco est parvenu à introduire des caméras et un robot qui a prélevé quelques fragments de corium dans le cœur du réacteur numéro 2.
Une équipe britannique travaille à la mise au point d’un bras robotisé capable de procéder à cette récupération du corium, tandis que des experts français développent un outil qui permettrait de découper ce magma au laser. Toute la question est de savoir s’il va être possible de le récupérer par morceaux suffisamment compacts ou si celui-ci devra être collecté par petits fragments, résume M. François.