Fukushima, la catastrophe nucléaire qui ne pouvait pas arriver
Dix ans après, retour sur une catastrophe qui a profondément marqué le monde entier.
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Publié le 11-03-2021 à 06h47 - Mis à jour le 11-03-2021 à 11h47
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S’il faut ne retenir qu’une image de la catastrophe nucléaire qui a frappé la région de Fukushima en mars 2011, ce serait sans doute celle-là : un improbable ballet d’hélicoptères qui tentent pathétiquement de déverser des big bags remplis d’eau de mer pour refroidir les combustibles usagés entreposés dans la piscine du réacteur n°4 dont la toiture a été éventrée par une explosion. La manœuvre, désespérée, illustre la panique et l’impuissance de Tepco, l’opérateur de la centrale, face à ces événements. Elle sera rapidement abandonnée en raison de la radioactivité trop importante qui émane du site. Quelques heures plus tôt, sur les ondes de la RTBF, l’un des pères du programme nucléaire belge affirmait pourtant qu’aucun danger n’était a priori à craindre de ce côté…
Cet aveuglement ainsi que les moyens dérisoires utilisés pour tenter d’endiguer le désastre résument en quelque sorte les conclusions du rapport d’enquête publié un an plus tard, selon lequel cette catastrophe est le fruit moins d’un phénomène naturel exceptionnel que de la mauvaise gestion de l’opérateur et des autorités de contrôle japonaises qui avaient sciemment sous-estimé les risques pour des motivations économiques.
Un tsunami dévastateur
Lorsque le tremblement de terre d’une magnitude de 9.1 ébranle le Japon, le 11 mars au beau milieu de l’après-midi, il semble dans un premier temps n’avoir pas occasionné de dégâts majeurs sur le site de la centrale, située à plus d’une centaine de kilomètres de l’épicentre du séisme.
Celle-ci compte six réacteurs dont trois (les n°4, 5 et 6) sont à l’arrêt pour subir des opérations de maintenance. Comme le prévoit la procédure, les trois autres - qui tournaient à plein régime - se sont automatiquement arrêtés et les dispositifs permettant de freiner la réaction de fission nucléaire au sein des cœurs des réacteurs se sont enclenchés. Certains relâchements gazeux sont enregistrés, mais aucun problème inquiétant n’apparaît dans un premier temps, si ce n’est la rupture de l’alimentation électrique extérieure de la centrale. Qu’à cela ne tienne, les douze groupes électrogènes diesel de secours se sont mis en branle pour assurer le fonctionnement des systèmes de refroidissement. Jusqu’ici tout va bien.

Mais tout va basculer un peu moins d’une heure plus tard. Déclenché par la violence du séisme, un gigantesque tsunami va ravager la côte Pacifique du Japon. D’une hauteur de 30 mètres par endroits, la vague géante va détruire les infrastructures et les habitations des villes côtières sur 600 km de long, provoquant la mort de plusieurs milliers de personnes.
Des protections sciemment insuffisantes
Dans un premier temps, ce sont logiquement ces conséquences dignes du pire des films catastrophes et les scènes de douleur qui l’accompagnent qui mobiliseront l’attention médiatique. Mais rapidement les regards vont se tourner vers la centrale de Fukushima Daiichi, où les événements ont pris une tournure que l’on pensait impossible. Frappé par une vague d’une hauteur estimée à une quinzaine de mètres, le site a été totalement inondé. Sur la plaquette de présentation de la centrale, l’opérateur Tepco affirmait pourtant que ces installations étaient parées pour résister au pire séisme et capables d’encaisser des vagues d’une hauteur de près de… 6 mètres. Après des mois de dénégation, Tepco finira par reconnaître avoir minimisé le danger que posait un potentiel tsunami par peur du coût qu’entraînerait un renforcement des normes de sécurité. Normes qui auraient remis en question la sûreté de toutes les centrales japonaises installées le long des côtes.
Insuffisamment protégés, les réseaux qui relient les groupes électrogènes aux réacteurs et les prises d’eau qui les alimentent sont à leur tour hors service, les ultimes systèmes de secours ne tarderont pas à suivre. La centrale est hors de contrôle. La machine infernale est lancée.

Du 12 au 16 mars, c’est la panique et la confusion. Les explosions et les incendies s’enchaînent dans les réacteurs n°1, 2, 3 et 4. Une partie du personnel de la centrale est évacuée pour ne laisser que quelques équipes d’une cinquantaine de personnes qui se relaient en mode "commando" pour tenter de maîtriser la situation. Celles-ci permettront notamment le rétablissement de lignes d’alimentation électrique afin de relancer des systèmes de refroidissement. Des rejets massifs de radioactivité, accidentels ou volontaires (pour essayer de faire baisser la pression dans l’enceinte de confinement des réacteurs), se produisent dans l’atmosphère.
La confusion règne autour des zones dont il faut faire évacuer la population, dont le périmètre ne cesse d’évoluer, en dépit parfois de toute logique. Un scénario du pire envisage même une évacuation de la ville de Tokyo située à 250 km de là. Le 16 mars, l’empereur Akihito se livre à une très rare allocution télévisée dans laquelle il confie sa préoccupation par la situation qualifiée d’"imprévisible" à Fukushima, appelant ses compatriotes à prier pour le pays. À Bruxelles, le commissaire européen à l’Énergie, Gunther Oettinger, évoque pour sa part une "apocalypse nucléaire".
Au terme de plusieurs semaines d’angoisse et d’incertitude, les équipes de Tepco parviendront finalement à reprendre le contrôle de la situation, mais le chantier de stabilisation et de démantèlement du site prendra des décennies. Le cœur des trois réacteurs a fondu et transpercé les cuves ; les importantes quantités de combustibles usagés entreposées dans les piscines resteront plusieurs années dans des conditions précaires. Le risque d’un nouveau séisme ou d’un typhon laisse planer au-dessus de la centrale le danger d’une répétition.
Dans ses conclusions, l’enquête parlementaire sur l’origine de la catastrophe dédouanera la nature. Ce qu’il s’est produit, soulignent ses auteurs, est "le résultat d’une collusion entre le gouvernement, les agences de régulation et Tepco, et le manque de gouvernance de ces instances". Il s’agit d’un désastre né "de la main de l’homme". Dix ans plus tard, il n’est pas certain que toutes les leçons aient été tirées.
