L’Iran et la Chine entament une coopération renforcée mais déséquilibrée : "Téhéran a beaucoup plus besoin de Pékin que l’inverse"
Téhéran et Pékin sont désormais des "partenaires stratégiques". La Chine accroît sa présence dans le golfe Persique.
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Publié le 01-04-2021 à 14h41 - Mis à jour le 01-04-2021 à 14h43
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Déjà partenaires dans de nombreux domaines, l’Iran et la Chine sont désormais liés par un "partenariat stratégique général", qui augure d’une coopération plus étroite et tous azimuts entre les deux pays. Signé samedi dernier à Téhéran à l’occasion du cinquantième anniversaire de leurs relations diplomatiques, l’accord porte sur les vingt-cinq prochaines années. Si aucun détail n’a filtré, pas même les grandes lignes de son contenu, cette coopération stratégique devrait se matérialiser aux niveaux politique, économique, commercial et géopolitique. Comme l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, elle "montre la volonté de Pékin de promouvoir les liens au plus haut niveau possible".
"C’est un signe de l’intérêt évident que la Chine porte à l’Iran", note Thierry Kellner, maître de conférences à l’ULB en relations internationales et spécialiste de l’Iran et de la Chine. Il pointe la valeur symbolique de cette annonce, "surtout dans le contexte actuel où l’Iran est isolé par la diplomatie américaine et la Chine est en délicatesse avec les Occidentaux, aussi bien les Européens que les Américains".
Ainsi les convergences idéologiques entre la Chine et l’Iran ont-elles certainement œuvré au renforcement de leurs relations diplomatiques. "Ce sont deux régimes issus d’une révolution et qui ont un positionnement international favorable à un monde multipolaire, un système moins occidentalo-centré, voire post-occidental. L’Iran et la Chine peuvent penser que s’appuyer l’un sur l’autre peut aussi faire avancer cet objectif commun de devenir des hégémons régionaux, et même global pour la Chine", explique M. Kellner.
"La position commune de nos deux pays sur les sujets internationaux témoigne de ce niveau de relations privilégiées", a souligné samedi le président iranien, Hassan Rohani.
L’idée de cette coopération renforcée remonte au voyage du président chinois, Xi Jinping, à Téhéran, en janvier 2016. Le projet, préparé ensuite par l’Iran, prévoyait des investissements chinois en Iran à hauteur de 400 milliards de dollars (340 milliards d’euros) sur un quart de siècle, surtout dans l’industrie des hydrocarbures, la pétrochimie, les transports. Une aubaine pour l’Iran, confronté au vieillissement de ses infrastructures, à une crise économique et des restrictions internationales qui limitent ses moyens financiers, ainsi qu’à une crise sanitaire qui a touché les Iraniens comme nul autre pays au Moyen-Orient. En échange de ses investissements en Iran, la Chine compte poursuivre ses approvisionnements en pétrole et gaz en obtenant de bonnes remises tarifaires.
Cette relation est pourtant très asymétrique. "Téhéran a beaucoup plus besoin de Pékin que l’inverse", souligne encore le spécialiste. La Chine peut exploiter cette position de faiblesse de l’Iran, en particulier pour lui vendre sa production nationale - alors que Pékin est déjà le premier partenaire commercial de Téhéran. Armements et matériel sécuritaire (pour la surveillance de l’espace public ou d’Internet) peuvent intéresser un régime répressif comme la République islamique. Une dimension militaire à cette coopération était aussi évoquée dans le projet, avec le déploiement de cinq mille soldats chinois en Iran.
"Un intérêt évident dans le Golfe"
Pour la Chine, il s’agit aussi d’ajouter un maillon à son projet de Nouvelles Routes de la soie, qui doivent lui permettre d’exporter ses produits vers l’Ouest, en connectant le Xinjiang à l’Asie centrale, puis, via la Turquie, à l’Europe.
Reste à savoir combien la Chine investira réellement en Iran. Ces quinze dernières années, soit entre 2005 et 2020, les investissements et contrats de construction chinois en Iran ont totalisé seulement 26,56 milliards de dollars, selon les chiffres du China Global Investment Trackers. À titre de comparaison, sur la même période, ses investissements se sont élevés à 39,86 milliards de dollars en Arabie saoudite et à 34,7 milliards aux Émirats arabes unis, soit deux autres pays du Moyen-Orient avec lesquels la Chine entretient déjà des partenariats stratégiques. Riyad est d’ailleurs son premier fournisseur de pétrole, devant l’Irak et l’Iran (avant les sanctions), alors que le Qatar lui vend du gaz naturel liquéfié.
"La Chine a donc tout intérêt à être présente dans le golfe Persique, d’où provient une bonne partie de ses approvisionnements pétroliers et gaziers, et qu’il y ait une forme de stabilité" , précise Thierry Kellner.
Parapluie diplomatique
D’un point de vue géostratégique, "la Chine envoie le message qu’elle est tout à fait capable d’ennuyer les États-Unis jusque dans les régions que Washington considère comme stratégiques", relève-t-il encore. Au-delà, le partenariat sino-iranien permet à la Chine de pouvoir s’appuyer sur un État qui n’est pas proche des États-Unis. "Les Chinois font du business avec l’Arabie saoudite mais c’est quand même un État qui, malgré les tensions qu’on a connues, est proche des Occidentaux, ce qui n’est pas du tout le cas de l’Iran. La Chine peut donc penser que l’Iran constitue une forme de garantie puisqu’il pourrait continuer à lui vendre du pétrole en cas de grave crise internationale, alors que peut-être ce n’est pas forcément le cas de l’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis."
La Chine peut en outre fournir à l’Iran "des choses que personne d’autre ne peut fournir, en particulier un parapluie diplomatique", souligne M. Kellner. Et comme elle est montée en gamme sur le plan technologique, elle devient un partenaire alternatif aux Occidentaux. "Cela ouvre des perspectives pour l’Iran, parce qu’en diversifiant ses partenariats il peut montrer aux Occidentaux qu’il n’est pas isolé et cela peut l’inciter à revenir à la table de négociation ou rehausser sa proposition avant d’y retourner." Dans le cadre des prochaines discussions visant à revitaliser l’accord nucléaire, cela peut toujours être utile.