Les hôpitaux de New Delhi au bord du gouffre: "Il faut que la situation s’améliore dans deux ou trois jours"
Pénurie d’oxygène et de médicaments, soignants en couche-culotte... Le pays enregistre près de 400 000 cas par jour.
Publié le 02-05-2021 à 20h19 - Mis à jour le 14-05-2021 à 18h22
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La pièce ressemble à une antichambre entre la vie et la mort. Au quatrième étage de l’hôpital Rajiv Gandhi de New Delhi, une vingtaine de patients s’accrochent à l’existence. Écroulés sur leur matelas comme sur le point de s’enfoncer sous terre, la plupart sont sous assistance respiratoire. Derrière le masque à oxygène perce un regard plein d’épuisement. On distingue sans peine les trois malades qui remontent la pente. Deux ont retrouvé la force de tapoter sur leur téléphone pour vaincre l’ennui. Le troisième est une dame d’une cinquantaine d’années, la seule à pouvoir faire quelques pas, la mine assommée par la fatigue. Le temps semble figé, sauf pour les soignants.
"Je travaille dix heures par jour. C’est épuisant, mais je dois résister à cette tornade. Avons-nous le choix ?", confie le docteur Sudhir Rawal, la cinquantaine. Oncologue avant l’épidémie, il trie désormais les patients aux urgences. Les journées sont si chargées, la peur du Covid-19 si prégnante, que les soignants travaillent en couche-culotte. Pas question d’enlever la combinaison de protection en toile cirée pour filer aux toilettes et risquer l’infection. L’hôpital a déjà eu 170 salariés malades du coronavirus l’an dernier, dont le docteur Rawal.
Un test sur trois est positif
Pourtant, ce qui use ce médecin affable, ce n’est ni la combinaison étouffante ni son travail aux urgences. C’est ce sprint quotidien pour chercher de l’oxygène. "Il nous en reste jusqu’à demain matin. Passé ce délai, il faudra une nouvelle livraison. C’est comme ça tous les jours. On fonctionne en flux tendu et nous sommes au bord de l’épuisement. Il faut que la situation s’améliore dans deux ou trois jours", souffle-t-il.
La deuxième vague a frappé le Rajiv Gandhi Cancer Institute tel un tsunami. "Lorsque nous avons affronté l’épidémie l’an dernier, nous savions que ce ne serait pas terminé. Mais tous les scientifiques pensaient que la seconde vague arriverait en juin ou juillet." En outre, le Covid élargit sa cible aux personnes plus jeunes. Les patients ont "entre 40 et 60 ans alors que c’étaient des gens âgés l’année dernière. La vaccination est passée par là", décrypte le docteur Rawal. La deuxième vague n’épargne pas grand monde dans la capitale où un test sur trois est positif. Même les enfants présentent des symptômes.
La violence de l’épidémie met à nu des décennies d’insuffisance sanitaire. Depuis trente ans, les autorités consacrent moins de 1 % du PIB aux dépenses de santé. Dans le même temps, avec la croissance économique, de nouvelles habitudes de consommation ont émergé, faisant exploser certaines pathologies. Le ministère de la Santé indiquait fin avril que 70 % des personnes décédées du Covid présentaient des facteurs de comorbidité. "Beaucoup de patients sont atteints de diabète, d’hypertension, de problèmes cardiaques ou d’obésité", observe le docteur Rawal.
Un usage millimétré des médicaments
Les équipes de l’Institut Rajiv Gandhi ajustent chaque traitement en fonction de la gravité de l’infection et du système immunitaire du patient. "On fait passer beaucoup de scanners de la poitrine pour le diagnostic. Quand le scanner montre une infection importante du système respiratoire et que la charge virale est très forte notamment, on prescrit du remdesivir, du tocilizumab et des stéroïdes combinés à une assistance respiratoire. Si le patient ne produit pas d’anticorps et ne répond pas au traitement, on lui transfuse du plasma après sept ou huit jours. Les patients plus jeunes, avec moins de fièvre, reçoivent de l’ivermectine, du favipiravir et des vitamines entre autres", explique le docteur Rawal. Cette batterie de soins administrés malgré la pénurie oblige à un usage millimétré pour préserver les stocks. Tous les hôpitaux sont concernés. "On prescrit des tests sanguins avec parcimonie à cause du manque de kits qui retarde les résultats de trois ou quatre jours. Entre-temps, l’état de santé du patient s’est dégradé et le compte-rendu du test est périmé", déplore le docteur Ambarish Satwik, de l’hôpital Sir Ganga Ram de Delhi. Et ce médecin ajoute : "Un bon nombre de personnel soignant ont été infectés. Quand ils reprennent le travail, d’autres sont tombés malades entre-temps. C’est un jeu de chaise musicale. On manque constamment de bras."
L’exceptionnalisme indien
Pourtant, juste avant la deuxième vague, le gouvernement nationaliste vantait l’exceptionnalisme indien. "Nous sommes arrivés à la fin de la pandémie de Covid-19. Sous la direction de notre Premier ministre Narendra Modi, l’Inde s’est imposée comme la pharmacie du monde. Nous avons de la chance d’avoir un chef d’envergure mondiale comme Monsieur Narendra Modi", proclamait le ministre de la Santé Harsh Vardhan le 7 mars. Cet excès de confiance teinté de flagornerie a empêché l’appareil d’État d’anticiper.
En dépit de l’aide internationale, les familles continuent d’affluer devant les hôpitaux publics. Le 26 avril, le gouvernement de Delhi a ouvert un hôpital de campagne de 500 lits en carton. Les familles font la queue à l’entrée en pleine après-midi, par 40 degrés. Ici, une mère de famille est allongée sur la banquette d’une voiture, reliée par un fil à une bouteille d’oxygène sur le siège passager. Là, une femme gémit de douleur dans un rickshaw tandis que le conducteur agite un mouchoir pour lui donner un peu d’air. "J’ai enregistré ma mère pour avoir un lit. Voilà deux heures qu’on attend. La moitié des hôpitaux ne répondent plus au téléphone, les autres n’ont pas de place", témoigne Varun. Les malades du coronavirus traités à l’institut Rajiv Gandhi paraissent presque chanceux.