Plusieurs fois au bord de la disparition, le parti communiste chinois gouverne aujourd’hui la seconde puissance économique mondiale : retour sur 100 ans d’histoire
Le Parti communiste chinois a été fondé le 1er juillet 1921. Il faillit disparaître plusieurs fois, mais gouverne aujourd’hui la seconde puissance économique. Une histoire jalonnée d’intrigues et de purges, un bilan mêlant réussites et tragédies.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/e842bcfd-e87b-497e-a849-524fef3c6458.png)
Publié le 30-06-2021 à 18h16 - Mis à jour le 01-07-2021 à 16h43
En rupture de ban avec le régime républicain élevé dix ans plus tôt sur les ruines de l’Empire du Milieu, la poignée de révolutionnaires qui fondèrent, le 1er juillet 1921, dans la clandestinité, le Parti communiste chinois, étaient loin d’imaginer que celui-ci fêterait son centenaire en régnant sans partage sur la deuxième puissance économique mondiale. Les quelque 70 militants qui constituaient son effectif initial, à l’issue du congrès tenu à l’abri de la police et des espions dans un immeuble de la Concession française de Shanghai, étaient pareillement loin de penser que leur organisation compterait cent ans plus tard quelque 92 millions de membres - chiffre dont il faut mesurer l’énormité : si le PCC était un État, il serait seizième dans le classement des plus peuplés de la planète.
La survie du Parti communiste chinois tient pourtant du miracle. Il manqua à plusieurs reprises d’être réduit à néant. Dès avril 1927, Chiang Kai-shek, l’héritier de Sun Yat-sen qui entreprenait de réunifier la Chine, fit massacrer des milliers de communistes à Shanghai, obligeant les autres à se replier dans les montagnes du Jiangxi, dans le sud du pays. Chiang mena alors, avec l’aide de conseillers militaires allemands, cinq "campagnes d’encerclement et d’anéantissement" pour les en déloger. Il y parvint finalement, et contraignit les survivants à fuir. Non sans offrir ainsi au PCC l’occasion d’écrire sa légende dorée : la Longue Marche.
Un chef au bout de la route
Quelques dizaines de milliers d’hommes - et quelques dizaines de femmes - ont changé le cours de l’Histoire… en marchant, envers et contre tout : d’octobre 1934 à octobre 1935, du Jiangxi au Shaanxi, un parcours sinueux de dix mille kilomètres, dans un environnement souvent hostile et des conditions presque toujours pénibles. L’épopée a été réécrite et magnifiée, si bien que les chiffres sont incertains. Mao parla de 300 000 participants, dont seulement 20 000 seraient parvenus à destination : Yan’an, une bourgade misérable, en partie troglodytique, qui allait devenir la "Jérusalem du communisme mondial". Le froid, la faim, l’épuisement, la maladie, plus que les combats avec le Kuomintang de Chiang Kai-shek, décimèrent les rangs du parti et de son "armée rouge". Mais le PCC avait survécu. Et il s’était trouvé un chef en cours de route : Mao Zedong.
"L’incident de Xi’an"
Avant de prendre le pouvoir en 1949, le Parti communiste chinois faillit encore être rayé de la carte à deux reprises. Pris en otage à Xi’an par des rivaux, en décembre 1936, Chiang Kai-shek se laissa convaincre de former un "front uni" avec les communistes contre l’envahisseur japonais ; il renonça par conséquent à lancer une offensive sur Yan’an qui avait toutes les chances d’être victorieuse. Plus tard, en juin 1946, alors qu’il prenait l’ascendant dans la guerre civile l’opposant à Mao, Chiang se résigna à un cessez-le-feu en Mandchourie ; il lui fut imposé par son protecteur américain que représentait en Chine le général George Marshall, investi par le président Truman d’une impossible mission de médiation. Le répit fut, une fois de plus, décisif pour le PCC. Bientôt, l’Armée populaire de libération allait déferler du nord au sud et forcer Chiang Kai-shek à s’exiler sur l’île de Taiwan.
Après la fondation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, le parti communiste ne connut pas une existence plus tranquille. Sur fond de guerre froide qui signifia longtemps pour lui boycott de l’Occident et tensions avec l’URSS, son existence ne fut qu’une succession d’intrigues, de luttes "entre deux camps", de querelles idéologiques et de purges.

Les relations avec Moscou et Washington
Les limogeages les plus spectaculaires concernèrent, à chaque fois, le ministre de la Défense - Peng Dehuai en 1959 et Lin Biao en 1971. De quoi rappeler que le pouvoir, en Chine, restait "au bout du fusil", selon la formule célèbre de Mao. L’autorité du Grand Timonier sur le PCC (lequel se confondait avec le pays tout entier dans un système de parti unique qui fit de lui un parti-État) fut précisément l’enjeu d’incessants règlements de comptes, quand bien même ils eurent pour toile de fond d’intenses débats sur les orientations politiques : la collectivisation à marche forcée et l’avènement d’une société communiste sur le front intérieur, les relations avec l’Union soviétique et les États-Unis sur la scène internationale.
Le savant découpage des photos officielles
Ces affrontements entre individus et factions peuvent se résumer à une suite de variations sur le thème "doctrinaires contre pragmatiques". Ils eurent des aspects tragicomiques, par exemple quand des propagandistes zélés découpaient les anciennes photos officielles pour faire disparaître les personnages tombés en disgrâce. Ils engendrèrent surtout des catastrophes qui furent autant d’hécatombes. Le Grand Bond en avant, qui devait théoriquement propulser la Chine dans le peloton des pays les plus développés, à la fin des années 1950, se solda par une famine qui fit au moins trente millions de morts. Mao fut alors critiqué et mis sur la touche. Il se vengea en lançant la Révolution culturelle en 1966. La Chine vira au gauchisme le plus caricatural et plongea dans le chaos. Une génération fut sacrifiée et l’économie en sortit dévastée.

La mort libératrice de Mao
La mort de Mao en 1976 libéra le parti et le pays d’un carcan. Elle permit à Deng Xiaoping, le nouvel homme fort, d’embarquer l’un et l’autre dans la plus spectaculaire des aventures, une mutation comme l’humanité n’en avait jamais connu. Un milliard de Chinois passeraient de l’économie planifiée à l’économie de marché, du communisme au capitalisme, en quelques années seulement. Une Chine encore à bien des égards arriérée devint "l’atelier du monde" et finit par faire jeu égal avec les États-Unis, l’Europe et le Japon, ses exportations représentant maintenant l’équivalent du PIB de la France. Sa fascinante modernisation, à la faveur d’une "politique de réforme et d’ouverture" menée tambour battant, a accumulé les records et épuisé les superlatifs. Un exemple parmi d’autres : hier connu pour ses nuées de cyclistes, le pays s’enorgueillit aujourd’hui de posséder le réseau autoroutier le plus étendu du monde.
C’est cette réussite, synonyme d’une phénoménale élévation du niveau de vie, qui a encore sauvé le Parti communiste chinois d’une disparition annoncée. La vague qui fit tomber le Mur de Berlin et le Rideau de fer, qui emporta le communisme en URSS, en Europe de l’Est et presque partout ailleurs, jusqu’en Mongolie, s’arrêta précisément aux portes de la Chine (épargnant sans doute du même coup la Corée du Nord et le Vietnam). Défiant les prévisions, le PCC résista au vent de l’Histoire, au prix d’une nouvelle tragédie : le massacre de la place Tian’anmen, en juin 1989. Il ne fait aucun doute que cette répression, dont on ignorera le bilan tant que le régime se refusera à en réévaluer les raisons, a gravement terni l’image du parti. Mais elle lui a permis de survivre.

Du "rêve américain" au "rêve chinois"
Mieux, de se renforcer. Hôte en 2008 des Jeux olympiques, la Chine célébra une consécration internationale qui avait déjà connu, dix ans plus tôt, avec la restitution de Hong Kong et Macao, un prélude aux accents de revanche sur l’humiliation coloniale. Elle poursuivit ensuite son inexorable montée en puissance, qui se décline en termes politiques et économiques, mais aussi scientifiques (avec notamment un programme de conquête spatiale), culturels (avec des centaines d’Instituts Confucius qui sont le principal vecteur du soft power chinois) et bien sûr militaires (avec, pour symbole, la création, à Djibouti, d’une première base à l’étranger - initiative qui aurait été jadis assimilée à un impérialisme honni). Sous la présidence de Xi Jinping, l’affirmation du rang de la Chine a pris une dimension nationaliste sans précédent, le secrétaire général opposant au "rêve américain" un "rêve chinois" qui doit faire du PCC le modèle et la référence en matière de gouvernance efficace.
Des défis et menaces considérables
Centenaire, le Parti communiste chinois se présente, il est vrai, plus fort que jamais. Il semble reposé solidement sur des assises apparemment inébranlables. Il n’en est pas moins traversé par des lignes de fractures. Riche, la Chine est devenue aussi terriblement inégalitaire. Aux tensions sociales latentes s’ajoutent un défi écologique dont les proportions sont à la mesure d’un pays immense, et un problème démographique inattendu, le parti ne parvenant pas à enrayer le vieillissement de la population après avoir imposé pendant quarante ans le plus impitoyable contrôle des naissances. Signe révélateur de la peur qui le taraude, le PCC mène une répression impitoyable, digne des pires heures du maoïsme, contre les opposants politiques (le sort fait au Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo en fut la manifestation la plus visible), contre les minorités (au Tibet, au Xinjiang, en Mongolie intérieure) et contre ces Chinois "différents" que sont les habitants de Hong Kong.
La plus grosse menace qui plane sur l’avenir du Parti communiste chinois réside, toutefois, dans sa nature même, dans ce qu’il est devenu. Jadis formation d’élite et d’avant-garde, dont l’accès était réservé aux révolutionnaires les plus convaincus et les plus méritants, le PCC est désormais une organisation de masse à laquelle on adhère moins par idéalisme que par opportunisme - le parti contrôlant tout, il vaut mieux rejoindre ses rangs si l’on veut faire carrière.
Un parti de millionnaires
Un parti communiste qui accueille désormais en son sein des millionnaires a probablement perdu son identité, voire son âme, en tout cas sa cohésion. S’il demeure officiellement voué au service de la nation et au bien de tous, il semble d’abord se préoccuper de la défense des privilèges de ses membres et plus encore de ses chefs, le premier d’entre eux, Xi Jinping, ayant réécrit les règles dans l’espoir de se maintenir indéfiniment au pouvoir. L’histoire du Parti communiste chinois a néanmoins montré que la chute pouvait être encore plus rapide, pour ses dirigeants, que la plus fulgurante des ascensions. L’avenir est donc loin d’être tracé et aucun scénario, même le plus inattendu, ne saurait être écarté.