"Plus de la moitié" des ministres talibans sur liste noire de l’Onu
Un mois après avoir pris Kaboul, les talibans ne montrent aucune ouverture.
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Publié le 17-09-2021 à 22h06 - Mis à jour le 18-09-2021 à 18h53
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Depuis que le gouvernement des talibans a été annoncé en Afghanistan, le 7 septembre, experts et diplomates se démènent pour savoir qui figure dans cet aréopage hermétique et exclusivement masculin, issu d’une guérilla qui a combattu clandestinement pendant vingt ans le gouvernement de Kaboul et son allié américain.
Le Counter-Extremism Project (CET), une ONG américaine se chargeant de combattre l'extrémisme, estime que "plus de la moitié des 33 membres du cabinet taliban en Afghanistan se trouve sur la liste noire du terrorisme du Conseil de sécurité des Nations unies". La plupart de ceux-ci sont d'anciens ministres du régime taliban qui dirigea le pays dans les années 1990 et se sont trouvés quasi automatiquement sur la liste des sanctions internationales pour avoir pris part à un régime qui avait hébergé Oussama Ben Laden. Quatre sont aussi d'anciens détenus de Guantanamo.
Les sanctions ont été adoptées dès 1999 par le Conseil de sécurité de l’Onu afin de combattre l’organisation Al-Qaïda et ceux qui leur offraient une protection. Elles ont été renouvelées d’année en année et traduites dans des listes adoptées par les États-Unis et l’Union européenne.
Du FBI jusqu’à Guantanamo
Le cas le plus cité est celui du nouveau ministre de l’Intérieur, Sirajuddin Haqqani, sur lequel pèse encore une prime de 10 millions de dollars du FBI qui voudrait l’interroger sur son rôle présumé dans l’attaque en 2008 contre l’hôtel Serena de Kaboul (six morts, dont un citoyen américain et un journaliste norvégien) et sur une tentative d’assassinat de l’ancien président Karzaï.
Haqqani est issu d'une tribu pachtoune qui s'est battue dans les années 1980 contre les Soviétiques, puis contre les Américains entre 2001 et 2021. Elle contrôle la frontière pakistano-afghane. Le réseau est accusé d'avoir commis les attaques les plus sanglantes contre l'ancien gouvernement afghan et les forces internationales. Dans une Opinion publiée l'année dernière par le New York Times, Sirajuddin Haqqani affirmait que "chacun était fatigué de la guerre" et que sa conviction était que "les tueries et les mutilations devaient cesser".
Mais il est loin d’être le seul ministre afghan à se retrouver sur les listes du Conseil de sécurité. Le Premier ministre lui-même est épinglé par l’Onu. Mohammad Hassan Akhund est l’un des quatre fondateurs du mouvement en 1994 et fut ministre adjoint des Affaires étrangères sous le premier régime taliban. Les ministres des Affaires étrangères, du Hajj et des Affaires religieuses, de l’Aviation civile ou des Communications sont dans le même cas.
Enfin, quatre des cinq responsables talibans détenus à Guantanamo ont été repris au sommet du pouvoir, le cinquième étant nommé gouverneur de la province de Khost.
L’un d’eux, Abdul Haq Wassiq, a été nommé directeur du Renseignement à Kaboul. Il avait été arrêté dans la province de Ghazni fin 2001 par les Américains qui espéraient obtenir de lui des informations sur la localisation du mollah Omar, l’émir suprême des talibans. Il a passé douze ans dans la prison extraterritoriale avant d’être libéré en 2014, dans un échange avec un soldat américain capturé par le clan Haqqani.
Pachtoune à 90 %
Malgré les appels à la diversité venus des personnalités afghanes et des diplomates, le gouvernement taliban est l'illustration que le mouvement est né en zone pachtoune, la grande ethnie du sud du pays. Il comprend trente Pachtounes, deux Tadjikes et un Ouzbèke. Dorothée Vandamme, experte du Pakistan et de l'Afghanistan à l'UCL, voit dans ce déséquilibre une source probable de conflit ethnique dans le pays. "Si ef fectivement les talibans souhaitent obtenir une légitimité de la population, ce gouvernement doit être considéré comme représentatif", dit-elle.
Aucune femme n’a été désignée et, ce vendredi, les talibans semblent avoir fermé le ministère des Affaires féminines pour le remplacer par celui de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, craint pour son fondamentalisme durant leur premier règne, il y a vingt ans. Aucune perspective d’élections non plus puisque, dans l’esprit des talibans, inspirés par le déobandisme, le pouvoir suprême est religieux, hérité du Prophète.
"Parler, mais pas les reconnaître"
Malgré tout, les Nations unies et les Européens estiment qu'il faut parler aux talibans, pour aider la population, mais non les reconnaître comme ils le souhaitent. "Nous n'avons pas le choix. Il faut leur parler", estime Dorothée Vandamme. "Mais ce serait une erreur de les reconnaître car nous perdrions notre seul levier de négociation."