Terrorisme : le défi de la coopération américano-pakistanaise
Vingt ans de méfiance entre Islamabad et Washington vont compliquer cette alliance.
Publié le 10-10-2021 à 08h28 - Mis à jour le 11-10-2021 à 17h13
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Plus de huit mois après son entrée à la Maison-Blanche, Joe Biden ne l'a toujours pas appelé. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan attend son coup de fil. Et ça l'agace. Même s'il tente de faire bonne figure. "J'imagine qu'il doit être très occupé, mais notre relation avec les États-Unis ne se limite pas à un appel téléphonique", a-t-il lancé lors d'une interview à la chaîne CNN le 15 septembre.
Un mois plus tôt, le régime du président afghan Ashraf Ghani s’effondrait à la surprise générale et les talibans prenaient Kaboul sans coup férir. Privé de son allié traditionnel, sans troupe ni base militaire dans le pays, Washington doit maintenant repenser sa stratégie antiterroriste afin d’empêcher l’Afghanistan de redevenir une base arrière pour Al-Qaïda et la mouvance djihadiste internationale.
Le Pakistan, qui partage 2 600 kilomètres de frontières avec l’Afghanistan, apparaît comme un partenaire potentiel. Sauf que les obstacles sont nombreux.
Après le 11 septembre, Islamabad participe à la traque des responsables des attentats. Avec succès dans un premier temps. L’architecte des attaques de New York et Washington, Khalid Cheikh Mohammed, est arrêté en 2003 à Rawalpindi, dans le nord du pays. Mais la coopération se teinte vite de méfiance et de frustration face au refus de l’armée de démanteler les bases arrières des talibans afghans sur son territoire.
Sentiment de trahison
La CIA obtient l’aval d’Islamabad pour lancer des bombardements de drones dans les zones tribales où se réfugient nombre de combattants islamistes à partir de 2004 et jusqu’en 2018. Ces frappes font entre 424 et 969 morts civils d’après le "Bureau of investigative journalism", et l’opinion publique se retourne contre les États-Unis. Le raid des Navy Seals contre Ben Laden en 2011 à Abbottabad, ville-garnison à deux heures de route d’Islamabad, achève de convaincre les généraux pakistanais que le partenariat avec les Américains est moribond. Le Pakistan, qui a été tenu à l’écart de l’opération, se sent trahi et pivote vers la Chine ainsi que la Russie. Pékin est devenu son premier fournisseur d’armes et son premier investisseur à travers la construction d’un corridor économique et logistique, le "CPEC".
"La coopération en matière de renseignement ne pourra pas redevenir ce qu'elle a été dans les années 2000", pointe un haut-gradé pakistanais qui ajoute : "Si les Américains veulent un accès à nos bases aériennes pour bombarder l'Afghanistan avec leurs drones, c'est non. Et si la stratégie américaine dite "horizon lointain" consiste à cibler les talibans afghans, c'est non aussi."
Au contraire, le gouvernement pakistanais plaide pour une reconnaissance de facto de la théocratie afghane comme pierre angulaire de la stratégie anti-terroriste. Islamabad répète depuis plusieurs semaines que la communauté internationale a "l'obligation morale d'aider le peuple afghan". Le conseiller à la Sécurité nationale, Moeed Yusuf, a appelé le 7 octobre à la tenue rapide d'une "conférence de donateurs où les pays de la région et les nations occidentales conviendraient de programmes d'aide humanitaire et économique" en faveur de l'Afghanistan.
Convergence d’intérêts
"Ce pays a besoin de stabilité économique pour que le nouveau régime favorise la création d'emplois et que les projets de pipelines pétroliers et gaziers depuis l'Asie centrale vers la mer d'Arabie se concrétisent. Les djihadistes auront alors plus de mal à recruter", parie l'officier cité plus haut qui souligne les points de convergence entre la CIA et l'ISI, l'agence de renseignement pakistanaise. Toutes les deux semblent s'accorder sur la nécessité d'en finir avec la branche afghane de l'État islamiste et Al-Qaïda. Islamabad s'inquiète aussi de la résurgence du Mouvement des talibans pakistanais, le TTP. Cette coalition de milices islamistes née en 2007 veut renverser l'État pakistanais et multiplie les attentats à partir de ses bases arrière dans les provinces afghanes du Nangarhar, de Paktia et de Paktika depuis l'an dernier. Le TTP avait aussi failli faire exploser une voiture piégée à Times Square, à New York, en 2010.