Si Peng Shuai monte aujourd’hui au filet, c’est pour dénoncer un des plus hauts dirigeants chinois
L’ex-championne de tennis se risque à accuser Zhang Gaoli de l’avoir violée.
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- Publié le 04-11-2021 à 18h31
- Mis à jour le 19-11-2021 à 08h33
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La Chine communiste a connu, ces dernières années, plusieurs scandales politiques retentissants dans lesquels il est invariablement question, en marge des accusations de corruption et d'abus de pouvoir, de "relations inappropriées" avec des femmes ou, plus généralement, des jeunes filles. Le pays a par ailleurs renoué avec une pratique que d'aucuns rattacheront à la tradition séculaire des concubines : les riches et les puissants entretiennent volontiers des maîtresses. Mais qu'une championne internationale de tennis accuse un des plus hauts dirigeants chinois de viol, voilà qui est sans précédent.
Cette accusation, c’est Peng Shuai, une ancienne numéro un mondiale en double, qui la porte contre Zhang Gaoli, qui fut vice-Premier ministre de 2013 à 2018. À l’époque, il siégeait au Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois, ce qui faisait de lui un des sept dirigeants les plus puissants du pays, dans l’ombre du président Xi Jinping. Peng, âgée de 35 ans aujourd’hui, a exposé les faits dans un message posté sur le réseau social Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. Le texte a été rapidement supprimé par les censeurs du régime, tout aussi prompts à filtrer, voire empêcher, les recherches sur Internet en bloquant les noms des protagonistes et jusqu’au mot "tennis".
Une liaison et un viol
L'information a néanmoins eu le temps de largement circuler et des captures d'écran étaient encore échangées jeudi, alors que le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères esquivait les questions des correspondants de presse, les jugeant sans objet puisque l'affaire n'avait rien de "diplomatique" . De Peng Shuai, on a donc appris qu'elle était devenue la maîtresse de Zhang Gaoli, de quarante ans son aîné, quand il était Premier secrétaire du parti pour la ville de Tianjin, de 2007 à 2012. Une relation renouée, selon elle, en 2018, alors que Zhang partait à la retraite, jusqu'à une dispute survenue la semaine dernière.
L'histoire aurait pu être banale si elle n'avait pas commencé, à en croire Peng, par un viol, commis à la résidence de Zhang, où celui-ci avait convié la championne pour une partie de tennis. "J'avais très peur. Cette après-midi-là, j'ai d'abord refusé. Je n'arrêtais pas de pleurer" , a-t-elle écrit sur Weibo, en précisant que l'épouse de Zhang avait monté la garde devant la chambre à coucher. Avouant n'avoir aucune preuve à fournir, Peng Shuai veut, cependant, que la vérité éclate, "quand bien même ce sera comme un papillon qui se frotte à la flamme, avec pour seule issue une autodestruction" .
Peng Shuai fut au faîte de sa gloire quand elle remporta avec sa partenaire, la Taïwanaise Hsieh Su-wei, le double dames à Wimbledon en 2013. Exploit qu’elle réédita à Roland-Garros l’année suivante, avant d’atteindre, en 2014 toujours, les demi-finales en simple à l’US Open, ce qui fit d’elle la quatorzième joueuse mondiale.
Une sportive atypique
Native du Hunan (une province dont les habitants ont la réputation d’être déterminés - c’est celle qui a fourni au parti communiste plusieurs de ses chefs historiques, à commencer par Mao), Peng Shuai a mené une carrière sportive atypique en Chine. Elle fut une des rares à pouvoir se soustraire au carcan des structures officielles pour s’entraîner à l’étranger et échapper à l’obligation de reverser tous ses revenus. La championne a parfois eu maille à partir avec les autorités de sa discipline. Elle écopa d’une mise à pied de six mois et d’une amende de 10 000 dollars pour avoir tenté de changer illégalement de partenaire en double au tournoi de Wimbledon en 2017.
Il est permis de se demander si Peng Shuai a pu, ou voulu, tirer avantage pour sa carrière de sa liaison avec un homme aussi influent que Zhang Gaoli. Toujours est-il que sa démarche s’inscrit aujourd’hui dans une version chinoise du mouvement #MeToo qui a vu des personnalités dénoncer des agressions sexuelles. En 2018, une nouvelle étoile du petit écran, Zhou Xiaoxuan, s’est risquée à accuser l’immensément populaire présentateur du gala du Nouvel An chinois, Zhu Jun, d’avoir abusé d’elle quand elle était stagiaire. Le procès s’est terminé en septembre dernier par un non-lieu.