Les manœuvres militaires chinoises trahissent la frustration de Pékin sur la question de Taïwan
Pékin mène des manœuvres militaires en représailles à la visite de Nancy Pelosi à Taipei. La démonstration de force trahit surtout l’impuissance de la Chine à réaliser son rêve de "réunification nationale".
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/e842bcfd-e87b-497e-a849-524fef3c6458.png)
Publié le 04-08-2022 à 19h30 - Mis à jour le 05-08-2022 à 06h59
:focal(2495x1658:2505x1648)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TAAA3VELWZD3DNPT2PO5AKRQR4.jpg)
Pour protester contre la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, speaker de la Chambre des représentants des États-Unis, la Chine organise depuis jeudi des manœuvres militaires d'une ampleur officiellement qualifiée de "sans précédent" aux abords immédiats de l'île. "Tous les missiles ont atteint leur cible avec précision", a commenté un porte-parole de l'armée chinoise après de premiers exercices censés démontrer la capacité de Pékin à subjuguer au besoin les indépendantistes taïwanais.
À Taipei, le ministère de la Défense a condamné "des actions irrationnelles" qui mettent en péril la paix régionale. On ne saurait effectivement ignorer les risques de dérapage ou d'escalade. "Si les forces taïwanaises viennent volontairement à notre contact ou tirent accidentellement un coup de feu, nous répliquerons avec vigueur et ce sera à la partie taïwanaise d'en assumer toutes les conséquences", a prévenu un responsable de l'Armée populaire de libération dans une déclaration à l'AFP.
Flatter le nationalisme chinois
Les experts ne s'attendent pas, cependant, à voir la situation dégénérer, grâce notamment à la retenue dont feront nécessairement preuve les autorités taïwanaises. Ces manœuvres, pour impressionnantes qu'elles puissent être, s'apparentent surtout à un show destiné à soigner l'image des dirigeants communistes, campant de fiers défenseurs de la patrie, et à flatter le nationalisme à fleur de peau d'une partie de la population chinoise, mais aussi à rappeler aux "ennemis de la Chine" - les pays occidentaux surtout - qu'ils doivent prendre très au sérieux la position chinoise sur Taïwan.
Pour le reste, ce qui devrait constituer, aux yeux de Pékin, une démonstration de force destinée à décourager les velléités indépendantistes à Taipei et les éventuelles actions de soutien en ce sens des pays étrangers, ressemble beaucoup plus à un aveu d’impuissance. Depuis la rétrocession de Hong Kong et Macao, colonies anglaise et portugaise, en 1997 et 1999, le Parti communiste chinois fait une fixation sur l’accomplissement final de la "réunification nationale" en récupérant Taïwan. Cette obsession s’est renforcée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012.
Las ! Pékin voit moins que jamais comment prendre le contrôle de cette "province" insulaire où le rival de Mao, Chiang Kai-shek, se réfugia en 1949, et qui jouit depuis d'une indépendance de fait, quand bien même la communauté internationale souscrit au dogme communiste selon lequel "il n'y a qu'une Chine dont Taïwan fait partie". Les décennies passant, Taïwan a développé une identité distincte. Surtout, elle a bâti une démocratie qui rend repoussante la dictature chinoise. La répression menée à Hong Kong a achevé de convaincre les Taïwanais qu'ils ne pouvaient pas croire les promesses d'autonomie faites par Pékin.
La hantise d’une trop grande dépendance économique
Quand la Chine a préféré la carotte au bâton, les résultats n’ont pas livré les résultats escomptés. De 2008 à 2016, sous la présidence de Ma Ying-jeou, favorable à un rapprochement avec Pékin, les relations bilatérales se sont développées à tel point que les Taïwanais ont redouté une trop grande dépendance de leur économie. Ils ont élu, pour succéder à Ma, Tsai Ing-wen, issue d’un parti qui aspire à voir Taïwan devenir un État à part entière en rompant les liens historiques avec la Chine.
La victoire triomphale de Mme Tsai en 2016 et sa réélection cinq ans plus tard ont montré que le sentiment indépendantiste n’était plus minoritaire à Taïwan. Une réalité qui semblerait, à terme, ne plus laisser d’autre choix que le recours à la force pour asseoir l’autorité de Pékin sur Taïwan. Comment envisager, toutefois, une guerre entre deux partenaires majeurs ? Car le paradoxe ultime est là : ennemis jurés, la Chine et Taïwan sont pourtant devenues indispensables l’une à l’autre dans de multiples domaines dont l’industrie électronique. Marché chinois d’un côté, investissements taïwanais de l’autre…
Dans l'immédiat, la direction chinoise s'évertue à empêcher Taïwan d'exister sur la scène internationale et jette l'anathème sur les pays qui osent y envoyer des délégations officielles. Elle assortit le discours d'exercices de musculation qui sont de plus en plus intimidants dès lors que l'armée chinoise monte en puissance. Et elle ne s'épargne aucune maladresse, comme celle commise encore mercredi par l'ambassadeur de Chine à Paris, Lu Shaye. Sur le plateau de BFMTV, il n'a pas craint d'affirmer qu'une fois la réunification achevée, les Taïwanais "seront rééduqués". Pour leur inculquer l'amour de la patrie et du parti communiste.