Pour Xi Jinping, l’année de tous les dangers
Une sécheresse d’une ampleur sans précédent frappe la moitié de la Chine. Elle porte un nouveau coup à une économie déjà fragilisée. Et s’ajoute aux défis que le président chinois doit relever à un moment critique pour lui.
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Publié le 26-08-2022 à 06h20 - Mis à jour le 26-08-2022 à 06h21
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La pire vague de chaleur que la Chine ait connue, avec des températures parfois voisines des 45 °C depuis des semaines, et une sécheresse concomitante qui frappe la moitié du pays et pourrait détruire jusqu’à 20 % des récoltes, vont-elles avoir des conséquences non seulement économiques, mais aussi politiques ? À l’automne, le Parti communiste chinois convoquera son XXe Congrès, et son secrétaire général, Xi Jinping, devrait à cette occasion briguer un inhabituel troisième mandat, rompant avec l’usage établi par ses prédécesseurs. Cependant, le bilan de son règne s’assombrit à tel point qu’il est permis de se demander s’il y aura consensus pour trouver qu’il est toujours l’homme providentiel.
Les empereurs de Chine étaient traditionnellement jugés selon deux critères : la défense du territoire national et la prévention des famines (un fléau cyclique autrefois). Xi a répondu à la première préoccupation par des exercices de musculation militaire au large de Taïwan. Quant à la seconde, rien n’annonce encore des temps de disette, ni un retour aux rationnements de l’ère maoïste : la Chine est désormais assez riche pour importer ce qu’elle ne pourra pas produire. L’heure n’en est pas moins grave dans un pays qui souffre déjà structurellement d’un déficit en eau, et où certaines cultures essentielles (riz et soja notamment) nécessitent une irrigation abondante.
La sécheresse a aussi un impact sur l’industrie, en particulier dans les régions qui dépendent de l’hydroélectricité. C’est le cas dans le sud-ouest de la Chine, où de nombreuses usines ont été fermées et où, comme à Chongqing, les centres commerciaux ne peuvent plus ouvrir qu’en soirée. Le Sichuan, qui tire 80 % de son électricité de ses barrages, est durement touché, mais le sont tout autant les provinces qui s’approvisionnent sur son réseau, comme le Jiangsu et le Zhejiang, qui comptent parmi les plus prospères du pays.
Cette calamité frappe une économie qui peinait à se remettre du coup porté par la pandémie, quand bien même la Chine a globalement mieux réussi à amortir le choc que les pays occidentaux. On ne peut pas être l’atelier du monde et sortir indemne d’une contraction des échanges commerciaux. Pékin table désormais sur une croissance de 5 % cette année (après les 8 % de l’an dernier et les 2 % de 2020), mais les experts doutent du réalisme de la prévision.
Une politique du "zéro Covid" qui exaspère
Le pessimisme s’impose d’autant plus que le régime communiste s’accroche envers et contre tout à une politique "zéro Covid" qui a, elle aussi, un coût très lourd. Qu’on songe qu’au printemps, Shanghai, la plus grande ville de Chine et sa capitale économique, a été paralysée pendant deux mois. Tout le pays souffre à des degrés divers des mises en quarantaine décrétées abruptement au moindre cas suspect, mais, pour les régions qui, comme le Tibet, n’ont pas d’autres ressources que le tourisme, ces décisions sont catastrophiques.
La population ressent, sans surprise, de plus en plus mal cette politique, dont le bien-fondé est, par ailleurs, loin d’être démontré scientifiquement. Non seulement les frontières du pays restent fermées, mais la vie quotidienne est aussi devenue un enfer pour la plupart des Chinois, à qui l’on réclame sans cesse des tests et des certificats continuellement mis à jour. Les personnes âgées, qui ne maîtrisent pas toutes les technologies, sont particulièrement vulnérables : le moindre passage dans un magasin peut devenir une épreuve insurmontable.
Une crise de grande ampleur dans l’immobilier
Alors que le reste de la planète a repris une existence normale, les Chinois s’exaspèrent à l’idée que leurs dirigeants s’enfoncent dans cette impasse avec pour unique souci de ne pas perdre la face : changer de cap reviendrait à admettre qu’ils se sont trompés, éventualité difficilement compatible avec l’infaillibilité que se prête le Parti communiste. La colère populaire a, toutefois, d’autres raisons de gonfler, à commencer par la crise de grande ampleur qui secoue le secteur de l’immobilier - secteur qui représente un quart du PIB chinois.
L’endettement est à l’origine de cette crise, qui n’est pas sans précédent (une bulle immobilière avait déjà éclaté dans les années 2000), mais a pris des proportions inédites : endettement des ménages qui veulent acquérir un bien, endettement des promoteurs qui veulent construire toujours plus. Pour juguler le phénomène, les autorités ont resserré l’accès au crédit, mais ont ainsi compliqué davantage les opérations des promoteurs déjà pénalisés par la pandémie, l’inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine. Les travaux s’arrêtent sur les chantiers, les immeubles en construction attendent des jours meilleurs, et les clients, qui achètent généralement sur plan, suspendent leurs paiements. Le cercle vicieux est bouclé.
L’Amérique plutôt que la Russie
Cette situation a une résonance sociale considérable parce que l’acquisition d’un logement est la priorité par excellence pour la classe moyenne chinoise - la satisfaction d’un besoin d’autant plus pressant que les Chinois ont vécu, sous le régime maoïste, dans des conditions d’inconfort, de promiscuité, voire d’insalubrité extrêmes. Que cette envie ne puisse plus être rencontrée les pousse à douter de la clairvoyance de leurs dirigeants et de leur capacité à satisfaire les besoins de la population.
La sagacité de la direction communiste est aussi mise en cause dans les choix diplomatiques qu’elle fait. Sans doute les jeunes sont-ils bercés par le "rêve chinois" que leur promet Xi Jinping, et enclins à croire la propagande quand elle assure que les États-Unis cherchent avant tout à contrecarrer l’émergence de la Chine. Néanmoins, c’est l’Amérique qui les fait toujours rêver, par sa réussite, sa richesse, sa puissance, et non pas la Russie, qui n’a, de surcroît, jamais cessé de trahir la Chine, depuis les tsars jusqu’à Staline, Khrouchtchev et Brejnev.
Le mauvais choix
Aussi a-t-on du mal à comprendre le soutien de Pékin à Moscou dans le conflit ukrainien. Un choix contraire à l’idéologie du régime communiste (fondée sur la non-ingérence et l’intégrité territoriale), mais surtout contraire aux intérêts économiques du pays. Les échanges de la Chine avec les États-Unis, en 2021, totalisaient 656 milliards de dollars (dont 505 milliards d’exportations !) ; le commerce avec la Russie a spectaculairement progressé, la même année, mais pour n’atteindre encore que 147 milliards.
Enfin, la position chinoise dans le conflit ukrainien, même drapée dans l’ambiguïté d’une prétendue neutralité (traduite par des abstentions lors des votes de l’Onu), est assimilée à la trahison du partenaire de premier plan que Kiev était pour Pékin jusque-là. Elle ne contribue pas à améliorer l’image de la Chine, déjà considérablement ternie, ces dernières années, par la répression au Xinjiang et à Hong Kong.