La lente reconstruction des Gandhi : "Cette marche vise à contrer la colère et la haine qui ont infiltré notre société”
L’héritier de la dynastie Nehru-Gandhi, Rahul, fait une marche de 3500 km à travers l’Inde pour reconstruire son parti, le Congrès, contre la toute-puissante droite hindoue du premier ministre Modi.
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- Publié le 18-12-2022 à 09h34
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Voilà plus de trois mois qu’il cavale à travers l’Inde, avalant une trentaine de kilomètres par jour. Pourtant, quand on marche à ses côtés, il faut presser le pas. Rahul Gandhi, l’héritier des Nehru-Gandhi qui comptent trois anciens premiers ministres dans leurs rangs, a lancé son parcours le 7 septembre à Kanyakumari, dans la pointe sud de l’Inde. Et il n’est toujours pas fatigué. Cette ténacité, c’est toute l’histoire de sa vie.
Depuis son entrée en politique en 2004 avec le parti de la dynastie, le Congrès, le petit-fils d’Indira Gandhi et arrière-petit-fils de Nehru n’a connu que des échecs ou presque. Il a été sèchement battu par le BJP, la droite fondamentaliste hindoue de Narendra Modi, aux législatives de 2014 et 2019. Mais il ne baisse pas les bras. Est-ce l’ambition de devenir premier ministre qui le propulse ? “Là n’est pas la question, nous assure-t-il. Je cherche à construire une vision alternative (à celle du BJP, NdlR) en écoutant les gens. Je prends le pouls de mon pays et de sa souffrance extrême. Cette marche vise à contrer la colère et la haine qui ont infiltré notre société.”
Repartir de zéro
Depuis que le BJP du premier ministre Modi est arrivé au pouvoir il y a huit ans, il a posé son hégémonie sur la scène politique. Il contrôle le Parlement et la moitié des États de la fédération indienne. Porté par une idéologie fondamentaliste, Modi transforme l’Inde laïque en nation hindoue. Les violences contre les musulmans et les chrétiens s’intensifient.
La domination du BJP doit beaucoup à la faiblesse du parti du Congrès qui, après avoir dirigé l’Inde pendant près d’un demi-siècle, n’arrive pas à redevenir une force de premier plan. Les revers électoraux en série provoquent aujourd’hui une prise de conscience : il faut repartir de zéro et labourer le terrain électoral pour se réinventer. Rahul Gandhi nous définit sa longue marche comme “une conversation avec moi-même, une observation, un apprentissage pour comprendre mon pays et mon peuple. Je veux parler au plus de gens possible”. Il ne cesse de demander à son service de sécurité de laisser passer le quidam pour écouter ses problèmes et ses doléances en marchant. C’est le premier objectif de cette initiative : dépoussiérer l’image de Rahul Gandhi dans l’opinion.
Les stratèges du Congrès veulent également remobiliser des militants découragés par les défaites électorales. “Quand on m’a parlé de cette marche, je ne voulais pas croire que Rahul ferait ça. Son père, sa grand-mère ont été premier ministre. Il a tout ce qu’il veut. Pourquoi voyagerait-il à pied ? Cette marche, c’est le premier grand mouvement depuis l’indépendance”, s’enthousiasme Kabir, un militant d’une vingtaine d’années.
Accueil chaleureux contre désintérêt médiatique
Les marcheurs puisent leur excitation dans l’accueil réservé à leur leader. En cet après-midi de décembre, le cortège traverse le district rural de Kota, à 500 km au sud de Delhi. Une foule s’étire le long de la route en quête d’une photo de Rahul Gandhi dans une ambiance festive teintée d’effervescence.
L’impact de la marche reste en revanche timide dans les médias nationaux. “Aucune chaîne de télévision ne parle de nous”, se désole Amitabh Dubey, un stratège du Congrès. Ce diplômé en sciences politiques de l’université de Columbia âgé d’une cinquantaine d’années déplore “les pressions du gouvernement sur les groupes de presse dont les propriétaires ne veulent pas être la cible des agences d’enquête fédérales” pour expliquer “cette censure”. Pas que.
Le désintérêt médiatique de la marche tient aux ambiguïtés qui l’entourent. La marche n’affiche aucun but concret qui la rendrait lisible auprès du grand public. En outre, Rahul Gandhi pointe la montée du chômage, de l’inflation, des inégalités… Ces thèmes reviennent en boucle dans ses discussions avec les gens qu’il rencontre. Et il avoue ne pas avoir de solution : “Nous nous pencherons là-dessus plus tard”, nous dit-il. Pour Adnan Farooqui, professeur de sciences politiques à l’université Jamia Millia Islamia de Delhi, “le Congrès met le doigt sur des problèmes socio-économiques qui ont disparu du débat politique. Mais il n’est qu’au premier stade de sa reconstruction.”
Toutefois, à entendre les gens venus apercevoir Rahul Gandhi, le parti conserve un peu de son lustre d’antan. “Rahul Gandhi vient ici pour la première fois. On est tous très fier”, confie Sono Kumar, 32 ans. Il y a aussi de la gratitude envers le gouvernement local dirigé par le Congrès : “Les autorités ont beaucoup fait pour l’irrigation”, explique Pramod, un petit producteur laitier. D’autres enfin comme Ramesh, un ouvrier agricole, sont lassés des tensions religieuses : “Rahul Gandhi travaille à l’unité du pays. Il ne pousse pas les hindous et les musulmans à se battre.”