Pourquoi Islamabad, puissance nucléaire, est au bord du précipice
Des discussions cruciales avec une délégation du Fonds monétaire international ont commencé le 31 janvier pour éviter un défaut de paiement, qui serait une catastrophe pour cette puissance nucléaire. Éclairage de notre correspondant en Asie du Sud.
Publié le 06-02-2023 à 19h12 - Mis à jour le 06-02-2023 à 21h19
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Voilà près d’un an que le Pakistan se rapproche du défaut de paiement. Ce scénario serait une catastrophe pour cette puissance nucléaire et seul le Fonds monétaire international (FMI) semble en mesure de l’éviter. Islamabad lui demande de reprendre son programme de 6,5 milliards de dollars de prêts entrepris en 2019. Le Pakistan a reçu 3,9 milliards pour l’instant, et attend le versement des deux dernières tranches. Tout va se jouer lors des pourparlers qui ont commencé mardi à Islamabad avec une délégation du Fonds.
L’institution de Washington exige, entre autres, que les autorités réduisent les subventions sur l’essence, le gaz et l’électricité tout en augmentant les transferts d’allocations aux plus pauvres. Le gouvernement de coalition de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N) a longtemps rechigné. Les législatives auront lieu à l’automne prochain et le Premier ministre Shehbaz Sharif craint une déroute électorale s’il supprime les subventions.
La malnutrition infantile touche désormais 40 % des enfants de moins de 5 ans, d'après l'Unicef.
Mais au 27 janvier, la Banque centrale (State Bank of Pakistan, SBP) a annoncé qu’elle n’avait plus que 3,1 milliards de dollars de réserves de change, de quoi couvrir dix-huit jours d’importation. C’est du jamais-vu depuis neuf ans. La SBP avait multiplié les mesures, ces derniers mois, pour freiner les sorties de devises.
Dans le port de Karachi, des milliers de conteneurs étaient coincés à quai début janvier, parce que la Banque centrale bloquait l’émission de lettres de crédit par les importateurs. Des entreprises textiles et métallurgiques ont stoppé leur activité faute de coton et d’acier. Les pénuries de farine et de nourriture pour le bétail ont fait exploser les prix alimentaires. La malnutrition infantile touche désormais 40 % des enfants de moins de 5 ans, d’après l’Unicef. Du coup, la SBP a levé ses restrictions le 2 janvier pour permettre l’importation d’essence, de médicaments et de produits alimentaires.
Devant l’urgence, le ministre des Finances a fait mine de céder à une partie des demandes du FMI. Il a annoncé une hausse des prix à la pompe le 30 janvier. Un nouveau projet de loi de finances devrait être soumis au Parlement afin d’avaliser des hausses d’impôts indirects. De son côté, le 26 janvier, la Banque centrale a cessé de soutenir la roupie, comme l’exigeait le Fonds. La devise pakistanaise a perdu 14 % de sa valeur en cinq jours face au billet vert.
Préparer l’opinion
Reste à savoir si cela convaincra le FMI. Le Premier ministre Shehbaz Sharif a tenté de préparer l’opinion publique à des mesures difficiles vendredi dernier : “Les conditions du FMI que nous allons devoir accepter dépassent l’imagination. Mais nous devrons les accepter”, a-t-il déclaré.

En cas de feu vert de l’organisation, quelques pays, comme la Chine et les monarchies du Golfe, pourraient venir en aide au Pakistan. L’Arabie saoudite a promis d’investir 10 milliards d’euros dans le secteur pétrolier, pétrochimique et l’agriculture, quand le chef de l’armée pakistanaise s’est rendu à Riyad début janvier. Islamabad compte également sur les 10 milliards de dollars promis par la communauté internationale à la conférence de Genève le 9 janvier pour financer la reconstruction après les inondations de l’an dernier. Ce programme s’étalera sur trois ans.
L’élite civile et militaire rêvait d’un autre avenir
Toujours est-il que ces sommes, si elles se concrétisent, ne résoudront pas les maux qui accablent l’économie. Le pays doit rembourser 21 milliards de dollars à ses créanciers étrangers cette année, dont 8 milliards d’ici fin mars. Sa dette extérieure s’élève à 101 milliards, d’après les chiffres publiés par la Banque centrale en novembre, soit environ un tiers du PIB.
Pourtant, il y a cinq ans, l’élite civile et militaire rêvait d’un autre avenir. Les grands travaux, financés et mis en œuvre par la Chine pour moderniser les infrastructures de transport, battaient leur plein. Ce programme baptisé “Corridor économique sino-pakistanais” d’une valeur initiale de 46 milliards de dollars, officialisé en 2015, regorgeait de promesses. Pékin et Islamabad répétaient que ces chantiers, accompagnés de nouvelles zones économiques spéciales, allaient industrialiser le Pakistan. Que les exportations allaient décoller. Que le pays serait le prochain tigre asiatique. Les surfacturations, la corruption et les lourdeurs administratives ont miné ces ambitions, tout en alimentant la dette nationale sans séduire les investisseurs ni doper les exportations.
Pire, la fraude aux impôts continue de plomber les recettes de l’État. La pression fiscale stagne entre 8 et 12 % du PIB depuis dix ans, en dépit des demandes répétées du FMI pour un élargissement de l’assiette. Le Bureau fédéral des impôts indiquait dans un rapport paru l’an dernier qu’un peu plus de 3 millions de Pakistanais avaient déclaré leurs revenus. Une goutte d’eau dans ce pays de 231 millions d’âmes.