La démocratie pakistanaise agonise sous le poids de l’armée
Le conflit entre le premier ministre Sharif et le leader de l’opposition Imran Khan replace l’armée au cœur du jeu politique. Le pays glisse vers une dictature militaire de facto.
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Publié le 19-05-2023 à 19h07
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Dix jours après les émeutes du 9 mai, l’escalade continue entre le gouvernement et Imran Khan, le chef du parti de la justice (PTI). Le pouvoir tente de neutraliser son adversaire coûte que coûte. Et tant pis si la justice a cassé la détention de l’ancien premier ministre, qui avait provoqué de violentes manifestations la semaine dernière. Vendredi, les forces de l’ordre encerclaient la résidence d’Imran Khan à Lahore. Les autorités l’accusent d’héberger quarante “terroristes”, tandis qu’Imran Khan qualifie la répression contre son mouvement de “fasciste”.
L’armée et le premier ministre Shehbaz Sharif ont franchi cette semaine un palier dans leur lutte contre le PTI. Les 15 et 16 mai, ils ont décidé de traduire les personnes suspectées d’avoir participé aux événements du 9 mai devant des tribunaux militaires. Les prévenus ne pourraient alors pas faire appel du verdict ni choisir leur avocat. Le PTI craint qu’Imran Khan soit jugé par l’armée, condamné et exclu de la vie politique à quelques mois des législatives.
Ce n’est pas la première fois que Shehbaz Sharif appelle les généraux à la rescousse. Au lendemain des émeutes du 9 mai, le ministère de l’Intérieur a demandé à l’armée de se déployer dans la capitale Islamabad et dans deux provinces pour maintenir l’ordre. Révélateur d’un gouvernement qui s’en remet à l’armée pour rester au pouvoir au moins jusqu’aux législatives censées avoir lieu à l’automne, alors qu’Imran Khan exige des élections anticipées.
L’ancien joueur de cricket ne digère pas d’avoir été démis de ses fonctions il y a un an par une motion de censure. Il accuse la coalition et le chef de l’armée d’avoir acheté des députés de sa majorité pour le renverser.
L’avènement d’une dictature militaire ?
Ce retour de l’armée au cœur du jeu politique marque l’agonie de la démocratie parlementaire, voire l’avènement d’une dictature militaire qui ne dit pas son nom.
Pourtant en 2008, après la chute du général Musharraf, les principales formations politiques étaient résolues à ne plus faire appel à l’armée pour déstabiliser le parti au pouvoir et à accepter le verdict des urnes. Le Parti du peuple pakistanais (PPP) a accompli son mandat de cinq ans après sa victoire en 2008 et le Parlement fonctionné dans les règles. La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N) lui a succédé après avoir remporté les législatives de 2013. Elle est restée en place jusqu’en 2018.
Problème : ni le PPP, ni la PML-N ne sont pas arrivés à transférer les prérogatives de l’armée au pouvoir civil. Les généraux tiennent la sécurité intérieure, quitte à menacer ou assassiner des journalistes en toute impunité. Ils contrôlent la politique étrangère. La création d’un Comité parlementaire sur la sécurité nationale n’a rien changé.
Dès lors, l’armée continue à diviser le paysage politique pour régner. Elle s’est appuyée sur l’ancienne star du cricket pour déstabiliser le régime civil. Imran Khan déteste le PPP et la PML-N qu’il juge corrompus. Et, en 2018, le PTI a remporté les législatives avec l’aide de l’ISI et de l’armée.
Une fois au pouvoir, Imran Khan a essayé d’établir son autorité sur l’armée. En 2021, il a tenté de peser sur la nomination du chef de l’ISI. Les généraux se sont retournés contre lui d’autant plus vite que la popularité de son gouvernement, incapable de désendetter le pays et de relancer la croissance, s’est effritée. Le PPP et la PML-N, pour qui Imran Khan n’est qu’un premier ministre “sélectionné” par les militaires, en ont profité pour le chasser du pouvoir en avril 2022.