Le trafic de drogue : un enjeu crucial pour la Jordanie et l’Arabie saoudite
Les deux pays sont inondés de Captagon, dont la Syrie est le premier producteur mondial.
- Publié le 05-06-2023 à 14h00
- Mis à jour le 23-06-2023 à 16h03
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Le 1er mai 2023, soit près de trois semaines avant la réunion de la Ligue Arabe organisée à Djeddah, Jordaniens, Saoudiens, Égyptiens et Irakiens ont officiellement et conjointement demandé à Bachar al-Assad de “prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la contrebande de captagon aux frontières avec la Jordanie et l’Irak”. Bien que cela ait été démenti par la suite, Riyad aurait en outre mis sur la table, deux semaines plus tôt, une aide de quatre milliards de dollars en faveur au régime syrien pour qu’il cesse ses activités narcotiques.
”Dans les annales diplomatiques, je ne suis pas certain que ce soit déjà arrivé depuis la fin de la seconde guerre mondiale”, commente Laurent Laniel, chargé de recherche à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. “Dire à un gouvernement : “Vous êtes un délinquant, vous produisez de la drogue et vous l’exportez dans mon pays : arrêtez et je vous donne quatre milliards de dollars”, c’est assez surréaliste.”
Un paria en position de force
Bachar al-Assad, le paria, semble désormais se trouver dans une position délicate mais avantageuse pour négocier le généreux soutien financier dont il a besoin pour reconstruire la Syrie sans passer par les Occidentaux.
”On peut évidemment le déplorer, mais Bachar – comme son père Hafez al-Assad avant lui – fait preuve d’une résilience géopolitique assez stupéfiante. Il évalue parfaitement les rapports de force géopolitiques”, observe le chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques David Rigoulet-Roze. “Et il est bien conscient de l’impact du captagon sur l’Arabie saoudite”.
La Jordanie tire à vue
Mohammed Ben Salman cherche avant tout à rétablir une stabilité régionale pour défendre ses propres intérêts. “Pour que son plan “Vision 2030” fonctionne et que la société saoudienne puisse se passer à l’avenir de la rente pétrolière, MBS sait qu’il doit compter sur l’élargissement du marché du travail aux jeunes ainsi qu’aux femmes”, poursuit David Rigoulet-Roze. ” Il faut que les nouvelles générations se mettent à travailler, ce que celles les ayant précédées n’ont jamais réellement fait jusqu’ici.” Une consommation massive et intensive d’amphétamines pourrait miner cette stratégie.
”Le cas de la Jordanie est sensiblement différent”, poursuit le chercheur. “Beaucoup plus petit, et beaucoup plus vulnérable, le pays est littéralement inondé de pilules. Ce qui pose des problèmes sanitaires et sécuritaires majeurs. À tel point que les autorités ont changé les règles d’engagement permettant de tirer à vue sur les trafiquants et les passeurs”.
En admettant que Bachar cesse réellement ses activités et ne joue pas sur les deux tableaux, a-t-il réellement les moyens de mettre fin à une filière colossale impliquant de nombreux acteurs ? “Il ne pourra pas faire disparaître le captagon”, estime le spécialiste du Moyen-Orient, “mais il pourrait mettre un terme au flux massif et ininterrompu actuel. Il a déjà démontré par le passé qu’il pouvait, dans une certaine mesure, tarir les flux en contrôlant le débit du robinet s’il le décidait, comme en novembre 2021, après des concertations étroites avec Amman”.