Quartiers rasés, refuges détruits, personnes expulsées… Comment l’Inde a cherché à cacher toute trace de pauvreté, avant le sommet du G20
L’Inde a dépensé des centaines de millions d’euros et rasé des quartiers pauvres pour embellir New Delhi avant le sommet des chefs d’État ce week-end. Un coût qui interroge vu les avancées timides observées depuis le début de la présidence indienne.
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- Publié le 08-09-2023 à 19h25
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Bela Estate n’est plus. Il y a six mois, cette plaine verdoyante au bord du fleuve Yamuna accueillait 4000 habitants. Des ouvriers du bâtiment, des agriculteurs et des familles entières vivaient là, pour certains depuis des décennies. De leur maison, il ne reste aujourd’hui que quelques briques et des débris éparpillés. Le gouvernement central a tout rasé cinq mois et demi avant le sommet des chefs d’État du G20 qui se déroule ce week-end dans la capitale indienne.
”Quand des agents de l’Autorité de développement de Delhi sont venus le 28 mars avec leurs bulldozers, ils nous ont dit que les délégués étrangers séjourneraient à proximité et qu’il n’était pas question qu’ils voient nos maisons et leur toit en plastique quand ils viendraient se promener”, raconte Hiralal, un père d’une cinquantaine d’années qui s’est réfugié sous le pont d’une autoroute voisine.
Même les cartables des enfants ont été enterrés. Ils ont volé le bétail et détruit les citernes d'eau du quartier pour qu'on ne revienne pas.
Pour éradiquer toute trace de la pauvreté, les bulldozers ont creusé des fosses et enfoui ce que la population possédait : ustensiles de cuisine, livres, mobilier… “Même les cartables des enfants ont été enterrés. Ils ont volé le bétail et détruit les citernes d’eau du quartier pour qu’on ne revienne pas. C’est à croire qu’ils veulent nous faire mourir de soif”, témoigne Rekha, une mère de famille qui poursuit : “La police nous a dit : 'on doit nettoyer en prévision du G20'. Mais nous ne sommes pas des squatteurs. Ma famille vivait là depuis 1913. J’ai même gardé l’acte de propriété qui date de la colonisation britannique.”
Au total, une douzaine de quartiers pauvres du sud et de l’est ont été rasés et plusieurs milliers de personnes ont été expulsées depuis le début de l’année pour embellir une partie de l’agglomération avant le sommet. Des refuges pour sans-abris ont aussi été détruits. Les familles expropriées n’ont reçu aucune compensation.
Image d’une Inde puissante
Ces démolitions en disent long sur la détermination du gouvernement de Narendra Modi à offrir aux délégations étrangères le visage d’une Inde puissante et débarrassée de la pauvreté. Le président de la section du parti de Modi de New Delhi (BJP) a déclaré la semaine dernière que le pouvoir central avait dépensé 450 millions d’euros pour préparer le G20 dont l’Inde a pris la présidence tournante le 1er décembre 2022. Un chiffre qui n’inclut pas les millions d’euros investis par les États de la fédération pour accueillir plus de 220 réunions des groupes de travail du groupement des vingt nations les plus riches du monde.
Les autorités ont posé une centaine de fontaines et une cinquantaine de statues à des carrefours de la capitale, refait des trottoirs, installé de nouveaux lampadaires sur la route qui relie l’aéroport au centre-ville… Sans oublier les milliers d’affiches arborant le visage du Premier ministre et vantant la présidence indienne.
Reste que le coût humain et financier de l’organisation du G20 pose question. Depuis décembre 2022, les avancées sont maigres. Les groupes de travail réunissant fonctionnaires indiens et délégués étrangers ont accouché de 69 déclarations conjointes et de 30 rapports sur des sujets divers : urbanisme, urgence climatique, emploi, hydrogène vert… Mais qu’en restera-t-il ?
Un impact limité
Le rapport sur l’hydrogène vert compile des études déjà publiées sur la production et la distribution de ce carburant pour formuler des recommandations générales. La déclaration des ministres de l’Emploi du G20 se dit déterminée à réduire le chômage des jeunes de 15 % d'ici 2025 sans indiquer comment y parvenir.
Après la rencontre des ministres de l’Environnement et du Climat en juillet, les débouchés ont été si limités que le gouvernement allemand s’est fendu d’un communiqué peu amène : “Les décisions prises ne sont pas à la hauteur de la gravité de la crise climatique. Des engagements de la part du G20 en faveur de la sortie des énergies fossiles et de la multiplication par trois des capacités mondiales des énergies renouvelables pour atteindre plus de 11 térawatts auraient envoyé le signal requis.”
Enfin, New Delhi espérait utiliser le G20 pour rapprocher les points de vue sur la réforme du système international. “Le multilatéralisme est en crise. Ces dernières années, la crise financière, le changement climatique, la pandémie, le terrorisme et les guerres ont montré que la gouvernance mondiale avait échoué”, avait déclaré Narendra Modi à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 le 2 mars. Six mois plus tard, il peine à être entendu tant la guerre en Ukraine et les tensions avec Pékin divisent le forum. Ni le président chinois Xi Jinping, ni Vladimir Poutine ne viendront à New Delhi ce week-end.