Pourquoi le ministre chinois de la Défense, pourtant “rouge et expert”, serait-il passé lui aussi à la trappe?
Après le chef de la diplomatie chinoise et plusieurs dirigeants importants de l’Armée populaire de libération, c’est le général Li Shangfu qui aurait été limogé. “Rouge et expert”, l’homme passait pourtant pour jouir de la confiance du président Xi Jinping.
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- Publié le 15-09-2023 à 15h51
- Mis à jour le 15-09-2023 à 16h15
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Cela commence à faire mauvais genre, et l’ambassadeur des États-Unis à Tokyo, Rahm Emanuel, ex-maire démocrate de Chicago, ne s’est pas privé d’ironiser, sur les réseaux sociaux, en paraphrasant le célèbre roman d’Agatha Christie : “Et puis il n’y en avait plus un seul” ("And Then There Were None", le titre original des "Dix petits nègres"). Après la “disparition” du chef de la diplomatie chinoise et le limogeage de plusieurs généraux à la tête du département des missiles stratégiques de l’Armée populaire de libération (APL), c’est le ministre de la Défense, Li Shangfu, qui aurait été écarté et ferait l’objet d’une enquête, selon différentes sources diplomatiques. L’information n’avait, cependant, pas encore été confirmée officiellement vendredi.
Le ministre n’a plus été vu en public depuis le 29 août, quand il avait pris la parole à un forum sino-africain sur la paix et la sécurité – un scénario classique, sous le régime communiste chinois, quand un dirigeant tombe en disgrâce. Il devait participer, les 7 et 8 septembre, à une réunion annuelle sur la coopération militaire sino-vietnamienne, mais celle-ci a été annulée au dernier moment au motif que le général Li était souffrant – un autre classique du régime communiste (Pékin avait d’abord invoqué la maladie pour balayer les interrogations sur le sort de Qin Gang, le ministre des Affaires étrangères finalement limogé le 25 juillet dernier).
Un général “rouge et expert”
Li Shangfu semblait pourtant jouir de la confiance du président chinois, Xi Jinping. Né en 1958, il est le fils de Li Shaozhu, un vétéran de la Longue Marche et de la guerre de Corée, ce qui procure au ministre un pedigree idéologique comparable à celui de Xi, lui aussi le fils d’un révolutionnaire de la première heure. “Rouge”, Li Shangfu est aussi “expert”, comme on disait du temps de Mao pour désigner l’avant-garde du parti. Ingénieur de formation, c’est un spécialiste du programme spatial chinois (il a travaillé trente ans au fameux centre de lancement de Xichang dans le Sichuan) et plus encore du programme d’exploration lunaire devenu une priorité pour Pékin.
Membre de la puissante Commission militaire centrale, Li Shangfu est aussi un acteur clé dans les relations avec Moscou, où il se trouvait encore à la mi-août pour des discussions avec son homologue Sergueï Choïgou. Le 16 avril, il avait déjà été reçu au Kremlin par Vladimir Poutine, un mois seulement après sa nomination comme ministre de la Défense. Alors qu’il dirigeait le département de l’Équipement de l’APL, il avait négocié avec la Russie des transferts de technologie, liés notamment au nouveau chasseur Sukhoï-35 et au système antimissile S-400 “Trioumf”. Cela lui avait valu d’être sanctionné par Washington en septembre 2018. Pékin a interdit depuis tout contact direct avec le Pentagone.
Une erreur de jugement surprenante
L’éviction de Li Shangfu est donc surprenante et, comme dans le cas de Qin Gang, elle l’est plus encore en sachant que le général était en fonction depuis six mois à peine – cette double erreur de casting faisant douter de la clairvoyance du maître absolu du régime, Xi Jinping. Des suspicions de corruption sont évoquées en mettant en rapport la chute de Li avec celle, révélée le 31 juillet, du général Li Yuchao, qui commandait la “Rocket Force” de l’APL et de son adjoint, Liu Guangbin, mais aussi celle d’un ancien adjoint, Zhang Zhenzhong, et du lieutenant général Shang Hong, qui dirigeait les programmes spatiaux au sein de la Force de soutien stratégique de l’APL. Sans oublier la mort énigmatique, le 6 juin, du commandant en second de la “Rocket Force”, Wu Guohua : un suicide travesti en crise cardiaque ?
Si la corruption dans les rangs et au sommet de l’APL est connue, les observateurs s’interrogent malgré tout sur la persistance du problème, à un tel niveau, plus de dix ans après l’arrivée au pouvoir de Xi, qui avait fait de l’éradication de ce fléau son cheval de bataille. À moins qu’il ne faille privilégier une autre grille de lecture.