Une nouvelle vague de haine contre les élus a frappé la France: comment expliquer ces faits de violence?
Les permanences des députés macronistes ont été prises pour cible durant toute la période estivale.
Publié le 01-09-2019 à 09h22 - Mis à jour le 01-09-2019 à 09h23
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Les permanences des députés macronistes ont été prises pour cible durant toute la période estivale.C’est une nouvelle vague de violences et de haine contre les élus qui a frappé la France au cœur de l’été. Des permanences de députés de la majorité, vandalisées, saccagées, voire murées, aux quatre coins du pays, comme autant de signes d’une France qui n’en finit plus de rejeter ses élites politiques. Depuis la fin juillet, les annonces de dégradation de sièges de locaux d’élus macronistes s’égrènent comme une litanie, lourde d’inquiétudes profondes sur la santé démocratique de l’Hexagone.
Samedi 25 juillet, la permanence du député Romain Grau, à Perpignan (Pyrénées-Orientales), est visée par une attaque ; les vitres sont brisées, alors que l’élu est présent dans les locaux. "Heureusement, un voisin m’a jeté un extincteur par la fenêtre et j’ai pu arrêter l’incendie", a commenté le député, choqué. En cause : six hommes cagoulés et vêtus de noir, en marge d’une manifestation de "gilets jaunes". Le lendemain, ce sont pas moins de six permanences qui sont visées un peu partout en France, dans le Lot-et Garonne, en Haute-Saône ou encore dans les Pyrénées-Orientales. Ce même 26 juillet, la permanence de Jean-Baptiste Moreau, à Guéret (Creuse), est murée, puis des affiches à l’effigie du député, agrémentées du sous-titre Wanted, sont collées un peu partout dans la ville.
En cause dans cette fièvre estivale, outre quelques "gilets jaunes" radicalisés : la contestation par un certain nombre d’agriculteurs de la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, votée à l’Assemblée nationale le 23 juillet dernier. Les élus dont les locaux ont subi des déprédations ont tous voté en faveur du Ceta - ou se sont abstenus. Les agriculteurs contestataires ne se sont d’ailleurs même pas cachés de leurs intentions vengeresses. "On cible tous les députés qui ont voté les accords, dans tous les départements de France", a ainsi prévenu Luc Mesbah, secrétaire général adjoint de section syndicale FDSEA en Haute-Garonne. Aux yeux des paysans français, l’accord serait synonyme d’une harmonisation par le bas des normes - sanitaires et de qualité - défavorable aux agriculteurs hexagonaux.
Permanence taguée
Nicolas Turquois en a lui aussi subi les conséquences. Ce député Modem de la Vienne, lui-même agriculteur, a voté en faveur du Ceta. Il a, du coup, dû subir les foudres des jeunes agriculteurs de la région. "On a retrouvé sa permanence de Chatellerault entièrement murée", explique-t-on à La Libre dans l’entourage du député. Ce dernier ne se cache pas de son adhésion au Ceta et assume d’avoir signé le traité. "Le Ceta n’a rien à voir par exemple avec le Mercosur, explique-t-il. D’abord, parce que nous avons beaucoup plus en commun, du point de vue politique, avec le Canada qu’avec le Brésil d’un Bolsonaro par exemple. Ensuite, parce que le Ceta inclut un certain nombre de normes qui sont protectrices pour nos agriculteurs."
Autant d’arguments qui n’ont pas convaincu les protestataires, qui ont poursuivi leurs actions de représailles jusqu’à la fin de l’été. Ainsi, dans la nuit du 24 au 25 août dernier, la façade du local de la députée Huguette Tiegna à Figeac (Lot) était vandalisée. Vitres brisées, façade taguée. "G7 envie de tout péter", ou encore "#Amazonie" était-il écrit sur les murs de sa permanence.
Cette nouvelle éruption d’antiparlementarisme inquiète le monde politique. "Ces actes doivent être condamnés sans réserve", explique Stephane Travert, député LREM de la Manche, et ancien ministre de l’Agriculture d’Emmanuel Macron. Lui-même a vu sa permanence taguée au cours de l’été, et a décidé de porter plainte. "La démocratie, c’est aussi le respect du fait majoritaire, poursuit-il. Il faut rappeler qu’en France, il n’y a pas de mandat impératif." Si lui-même ne se montre pas trop effrayé, il s’inquiète des conséquences pour ses collègues. "Certains sont de nouveaux députés depuis 2017 et ne s’attendaient pas du tout à ce degré de violence. Du coup, ils sont sous tension, ils font attention où ils vont, à ce qu’ils disent. C’est tout à fait inacceptable dans une démocratie." Des élus de la majorité ont même publié récemment une tribune collective, sur le site de France Info, pour regretter que la France soit collectivement "en train de s’habituer à l’intolérable".
Rentrée agitée
Beaucoup d’élus macronistes s’indignent aussi du manque de réactions des oppositions aux violences dont ils ont été les victimes. Gilles Le Gendre, le patron des élus LREM à l’Assemblée nationale, a ainsi regretté le "silence assourdissant des oppositions" sur le sujet. Par exemple, du côté du Rassemblement national : "C’est pas Verdun non plus, a commenté le député lepéniste Sébastien Chenu. Il y a un peu d’indécence dans tout cela." Et de rappeler que les permanences du RN sont régulièrement vandalisées depuis des années. "On s’y attendait un peu de la part de l’extrême droite, mais on est plus surpris du manque de réactions, à gauche notamment", s’indigne une élue LREM. Autant de signaux qui témoignent de l’ambiance politique parfois délétère qui règne dans l’Hexagone. Et qui annonce, à n’en pas douter, une rentrée agitée pour l’exécutif.