Alain Finkielkraut a-t-il appelé à "violer les femmes" lors d'un débat sur LCI ? (Fact checking)
Ce mercredi soir, Alain Finkielkraut, était invité sur le plateau de LCI dans l'émission de débat La Grande Confrontation.
- Publié le 15-11-2019 à 10h09
- Mis à jour le 15-11-2019 à 13h52
Dans une émission diffusée mercredi 13 novembre sur LCI, le philosophe Alain Finkielkraut a voulu ironiser sur la caricature qui serait faite de lui, en déclarant : "Je dis aux hommes : 'Violez les femmes !' D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs."
Un tweet, posté ce matin par le compte «Nous toutes», à l’origine de la marche prévue le 23 novembre à Paris pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, a isolé les propos dans un court extrait pour rappeler la marche contre les violences sexuelles.
Ce tweet a suscité de nombreuses réactions. Plusieurs internautes ont appelé LCI, mais également France Culture où le philosophe anime une émission chaque semaine, à ne plus inviter ou employer Alain Finkielkraut suite à ces propos.
Dans la vidéo de 16 secondes intégrée à ce tweet, on entend juste Alain Finkielkraut, philosophe, dire à Caroline De Haas, militante féministe : «Je dis aux hommes : "Violez les femmes !" D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs.» Le montage de cette vidéo ne permet pas de saisir la dimension «ironique» des propos du philosophe, qu’on comprend en écoutant l’intégralité de la séquence.
"Il y avait autrefois les viols, et maintenant, il y a la culture du viol"
Dans quel contexte les propos ont-ils été prononcés ? Lors d’une émission de débat diffusée sur LCI le mercredi 13 novembre, animée par David Pujadas, et discutant de la question suivante : «Toutes les opinions sont-elles bonnes à dire ?»
Du sketch de Desproges sur l’antisémitisme, en passant par le blackface d’Antoine Griezmann, les invités de cette émission étaient donc invités à s’exprimer sur ce qu’il était possible de dire, ou pas, à la télévision ou ailleurs en 2019.
A cette occasion, Alain Finkielkraut et Caroline De Haas ont débattu vertement, et à plusieurs reprises. Ainsi, à 22 heures, après avoir discuté du blackface d’Antoine Griezmann, le philosophe s’en prend à ce qu’il nomme le «politiquement correct». En ces termes :
«Le politiquement correct, ce n’est pas la bienveillance, c’est l’extension démente du domaine du racisme, du sexisme et de l’homophobie. Le sexisme : il y avait autrefois les viols, et maintenant, il y a la culture du viol. On parlait autrefois des viols, et par les viols, on dénonçait les passages à l’acte, la pénétration forcée. Aujourd’hui, il y a la culture du viol. On englobe dans la culture du viol les blagues salaces, les dragueurs lourds, les attouchements et jusqu’à la galanterie. De nombreux chercheurs et chercheuses parlent de la galanterie comme une forme de culture du viol. Ainsi assiste-t-on à cette extension du concept de sexisme. Il y aurait, en France, énormément de violeurs en puissance. Résultat : le politiquement correct, ce n’est pas la bienveillance, c’est la méfiance, c’est l’insulte, c’est l’anathème. C’est une manière de rendre la vie publique, la conversation civique absolument impossible. Le politiquement correct, c’est le calvaire de la pensée.»
Caroline De Haas prend alors la parole : «Juste aujourd’hui, il y a 250 femmes qui ont été victimes de viol en France. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un Observatoire qui dépend des services du Premier ministre. Comme tous les jours, c’est 84 000 par an.»
– Alain Finkielkraut : «Mais je vous parle de la culture du viol. Je parle d’autre chose.»
– Caroline De Haas : «Les propos que vous tenez, en disant "il y aurait soi-disant des violeurs ou je ne sais quoi", il y a des viols en France, Monsieur Finkielkraut.»
– David Pujadas : «Il n’a pas nié l’existence des viols.»
– Finkielkraut : «Voilà le politiquement correct.»
«Quand ils tiennent ce genre de propos, ils banalisent les violences»
Cette première séquence entre les deux personnalités se referme ainsi. Dix minutes plus tard, Alain Finkielkraut prononce les mots entendus dans la vidéo au terme d’un nouvel échange houleux avec Caroline De Haas. Le débat tourne alors autour des sketchs d’humoristes jugés sexistes ces dernières années (parmi eux, la blague de Tex sur les femmes battues, ou le sketch de Jean-Marie Bigard appelé «Le lâcher de salopes»).
Pour Caroline De Haas, «Jean-Marie Bigard, Cyril Hanouna ou Tex ne peuvent pas ignorer que, quand ils tiennent ce genre de propos, ils banalisent de fait les violences. Quand une fille de 13 ans violée par un réalisateur, en l’occurrence Polanski, et qu’on dit que ce n’était pas vraiment un viol. Quand vous dites ça, Monsieur Finkielkraut, c’est le message que vous envoyez à toutes les petites filles qui ont été violées dans ce pays…»
La militante fait référence à un passage de Finkielkraut sur France Inter il y a plusieurs années, ressorti ces derniers jours sur Twitter, où le philosophe assurait que Polanski n’était pas «pédophile», au motif que sa victime, 13 ans, n’était pas «une petite fille, une fillette, une enfant au moment des faits, mais une adolescente qui posait nue ou dénudée pour Vogue Homme».
Réaction de Finkielkraut, qui reprend alors le micro, et reproche à son interlocutrice de caricaturer ses propos, et de le camper en défenseur du viol, voire en violeur lui-même. «Violées, violées, violées… Voilà je dis aux hommes : "Violez les femmes !" D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs», ironise-t-il.
Quelques rires dans le public. Mais une ironie totalement déplacée selon Caroline De Haas : «Vous n’avez pas le droit de dire ça.»
– Alain Finkielkraut, parlant toujours de sa femme : «Elle en a marre, elle en a marre.»
– David Pujadas, s’adressant à Caroline De Haas : «C’est du second degré.»
– Caroline De Haas : «Ce n’est pas du second degré. Ce n’est pas drôle.»
– Alain Finkielkraut : «Vous êtes absurde. Polanski, il a été rattrapé par cette affaire trente ans après. J’ai rappelé les faits, cette jeune fille n’était pas impubère. Elle avait un petit ami. Elle a eu cette relation avec Polanski. Il a été accusé de viol. Aujourd’hui, elle s’est réconciliée avec lui.»