L’heure de vérité a sonné pour le Pacte vert européen
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- Publié le 27-04-2020 à 14h26
- Mis à jour le 28-04-2020 à 01h10
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Face aux conséquences du coronavirus, les appels se multiplient pour une relance économique alignée sur l’objectif zéro carbone en 2050. D’autres, plus sceptiques, veulent mettre sur pause le Pacte vert européen. Un test pour les ambitions climatiques de l’Union européenne.
Le Pacte vert est exactement la bonne réponse à la crise de coronavirus", déclarait récemment Ursula von der Leyen, confirmant que l’Union européenne ambitionne toujours d’atteindre la neutralité carbone en 2050, bien (et même d’autant plus) qu’elle est frappée par l’épidémie de Covid-19. La présidente de la Commission se positionnait ainsi dans le bras de fer entre les opposants et les tenants de la transition climatique, qui se joue en filigranes du débat sur la relance des économies européennes après la crise sanitaire. Si l’épidémie de coronavirus est allée de pair avec une levée de boucliers des contempteurs du Green new deal, elle représente aussi une opportunité en or pour la transition verte, alors que quasiment toutes les entreprises européennes dépendront des aides publiques pour leur survie. Mise à la fois devant cette chance, qui risquerait de ne plus se représenter à temps pour éviter le pire en termes de réchauffement climatique, et un défi économique immense, l’Union voit ses ambitions climatiques mises à l’épreuve.
Les premiers signes pouvaient laisser croire que l’agenda vert européen pâtirait de la crise provoquée par le coronavirus. La nécessité d’atténuer les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie ont supplanté le Green deal, en tant que priorité de la Commission. Les stratégies visant à protéger la biodiversité, à rendre l’agriculture écologique ou à lutter contre la déforestation ont été retardées. L’exécutif européen pourrait repousser la date à laquelle il proposera de relever les objectifs de réduction des émissions de CO2 pour 2030, de 40 % à 50 % ou 55 %. Or 2030 dira de quoi 2050 sera faite. Et rien ne dit que la loi climat, qui entérine l’objectif de la neutralité carbone, sera adoptée de sitôt, les mécanismes décisionnels étant concentrés sur le coronavirus.
Les plus sceptiques élèvent la voix…
Les États déjà sceptiques à l’égard d’objectifs climatiques trop ambitieux - notamment ceux d’Europe centrale et orientale, fort dépendants du charbon - n’ont pas tardé à se faire entendre. À commencer par la Pologne, seul État membre à ne pas avoir souscrit à l’objectif de neutralité carbone pour 2050. Varsovie a exhorté les Européens à mettre en suspend le Système d’échange de quotas d’émission ou à l’en exempter, afin qu’elle puisse dédier plus de fonds à la lutte contre la pandémie. Le Premier ministre tchèque Andrej Babiš a estimé aussi que"l’Europe devrait oublier le Green deal maintenant et se concentrer plutôt sur le coronavirus".
Les lobbies ont sorti l’artillerie lourde pour se servir du prétexte de la crise, afin d’affaiblir les réglementations climatiques existantes ou en préparation. De l’industrie automobile aux producteurs de plastique à usage unique, en passant par les entreprises de pesticides ou les organisations syndicales défendant l’agriculture conventionnelle, tous les acteurs concernés par les préoccupations écologiques européennes ont envoyé des lettres à la Commission et multiplié les campagnes de communication.
… les défenseurs du Green deal aussi
Faudrait-il alors spéculer sur un Green deal vidé de sa substance, sacrifié sur l’autel de la relance économique ? Ou voir ces appels comme un combat d’arrière-garde de ceux qui redoutent le coût de la transition climatique ? Si la prudence est de mise, l’autre camp a réagi avec détermination. Du moins dans la rhétorique. Dix-sept États membres - la Belgique, empêtrée dans ses disputes régionales, n’en est pas - ont appelé à ce que les plans de relance post-épidémie prennent en compte les questions environnementales. "Nous devons résister à la tentation de solutions à court terme qui risquent d’enfermer l’UE dans une économie basée sur les énergies fossiles pour des décennies", avertissent-ils.
La Commission n’a pas tardé à remettre l’église au milieu du village et confirmer que le Pacte vert restait sa boussole. "Notre Green deal n’est pas un luxe dont on peut se débarrasser. C’est notre bouée de sauvetage pour sortir de la crise", a déclaré la semaine dernière Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission en charge du Pacte vert. Et de préciser au passage qu’il n’y a "aucun lien" entre l’interdiction du plastique à usage unique et la reprise économique post-coronavirus. Comme pour plomber le moindre espoir d’une ambition climatique européenne revue à la baisse. "On peut garder un esprit ouvert pour les entreprises qui ont des défis à relever à court terme. Mais on doit s’en tenir à nos objectifs" climatiques, a-t-il expliqué.
A l’issue d’une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement jeudi, Ursula von der Leyen a confirmé que le Pacte vert sera parmi les "priorités" de l’UE qui "bénéficieront d’un soutien financier accru".
"On ne peut pas refaire les mêmes erreurs qu’en 2009"
La crise sanitaire ne fait qu’accentuer les clivages déjà existants par rapport au Green deal, sans faire bouger les lignes. "En revanche, elle rebat les cartes à travers la question des investissements et du plan de relance économique", souligne le Français Pascal Canfin, président de la commission Environnement du Parlement européen. Des centaines de milliards d’euros devront être déversés par l’UE, les gouvernements et les banques centrales, notamment pour sauver les entreprises de la faillite. "Si on ne profite pas de cette sortie de crise pour aligner l’investissement public sur l’accord de Paris sur le climat, si on refait la même erreur que lors de la crise économique de 2009, où l’on avait relancé la consommation sans exiger une transformation (climatique), on peut dire adieu à la neutralité carbone", insiste l’eurodéputé du groupe centriste Renew Europe.
Les activistes de la lutte contre le réchauffement climatique sont donc sur le qui-vive et appellent les décideurs européens à ne pas rater le coche. "Lorsque l’économie dépend tant de la relance publique, vous disposez d’un levier plus important qu’auparavant. Mais pour l’instant, on a beaucoup de belles paroles, même si c’est toujours bon de les entendre", souligne Franziska Achterberg de Greenpeace, constatant qu’aucune contrainte écologique ne conditionne l’accès aux aides publiques annoncées jusqu’ici.
La Banque centrale européenne (BCE) va racheter jusqu’à 870 milliards d’euros (7,3 % du PIB de la zone euro)d’obligations publiques et privées d’ici à la fin de l’année. Selon le think tank Influencemap, des grandes entreprises pétrolières (Shell, ENI, Total) comptent parmi les premiers bénéficiaires. Neuf ONG ont appelé la Banque européenne d’investissement (BEI), qui dégagera 200 milliards d’euros supplémentaires de prêts pour contenir la crise économique, à "exiger un plan crédible de décarbonisation, aligné sur les objectifs de l’Accord de Paris". Objectifs sur lesquels la BEI s’est engagée à aligner ses activités financières avant fin 2020.
Selon Greenpeace, les compagnies aériennes européennes - parmi les plus grands pollueurs de l’UE - ont déjà demandé des aides à hauteur de 12,8 milliards d’euros aux gouvernements, sans qu’elles soient soumises à des conditions environnementales. À ce sujet, la commissaire aux Transports Adina Valean s’est prononcée contre toute conditionnalité. M. Timmermans a nuancé en rappelant que "les États ont la liberté d’introduire des conditions". Selon M. Canfin, "il faut négocier un contrat de transition écologique. L’intérêt n’est pas de ne plus avoir de compagnies aériennes, mais de réorienter leurs investissements vers des carburants alternatifs. Ou d’exiger le paiement d’impôts : ces compagnies aériennes sont là quand elles ont besoin de l’État. Mais quand il faut payer des taxes sur le kérosène, il n’y a plus personne".
Des arguments économiques et géopolitiques
"L’idée n’est pas d’arrêter du jour au lendemain certains moteurs de notre économie. Il y a des travailleurs derrière, des enjeux économiques. Le tout est d’accompagner ces secteurs vers la transition", enchérit Saskia Bricmont, eurodéputée belge du groupe des Verts. Comprenez : il n’est pas question d’abandonner les agriculteurs conventionnels à leur sort, mais de les aider à se passer des pesticides, par exemple. "On est à un tournant entre un ancien et un nouveau monde.On ne peut pas retomber dans le même travers", insiste Mme Bricmont. Surtout qu’après, l’UE n’aura plus de quoi s’offrir une transition. "Si nous n’utilisons pas notre capacité d’investissement pour créer une économie basée sur le Green deal, l’ancienne économie pourrait être restaurée. Mais nous n’aurons pas les moyens de la transformer", a expliqué M. Timmermans, appelant par exemple à investir dans l’isolation des bâtiments pour créer de l’emploi.
Au-delà de la question du timing, les arguments pour renforcer la lutte contre le changement climatique, dans la foulée de la sortie de crise sanitaire, peuvent être purement économiques. D’abord, simplement, "le développement économique dépend des ressources de l’environnement", rappelle Sofia Lopez Piqueres, du European Policy Centre. Ensuite, selon une étude de l’Institut de technologie de Pékin, le coût annuel de l’inaction climatique fluctue, pour l’économie mondiale, entre 1 875 et 10 000 milliards de dollars (2 à 12 % du PNB mondial). Le think tank Morningstar observe, lui, que, au premier trimestre 2020, les fonds d’action durables ont mieux résisté à la tempête du coronavirus que ceux conventionnels. L’enjeu est aussi géopolitique, puisque, comme la Commission l’a répété, l’UE a une chance de rendre son économie plus circulaire, résiliente, moins dépendante des chaînes de productions mondiales et de se positionner comme leader de la transition climatique.
Et, au passage, de faire honneur aux traités européens, qui l’engagent à assurer "un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement".
La grande inconnue reste la volonté politique
"Des convergences nouvelles se créent" entre les Vingt-sept, notamment sur la question écologique, observait le président français Emmanuel Macron, jeudi. Mais le diable se trouve dans les détails. Comment imposer cette conditionnalité verte des investissements ? À travers une réforme des règles européennes en termes d’aides d’État ? Une coordination des États membres en la matière ? Un budget européen 2021-2027 dont toutes les politiques, notamment la politique agricole commune, cohérentes avec le Green deal ? À travers tous ces instruments et d’autres encore ? La réponse réside dans la volonté politique des Européens, explique Mme Lopez. "Là où il y a de la volonté, il y aura un moyen. Mais il sera difficile de l’obtenir. Tout le monde ne voit pas encore l’imbrication de la crise de coronavirus, de l’environnement et du réchauffement climatique", observe-t-elle. Preuve que le débat se poursuit : le groupe de travail du Parti populaire européen, première force politique du Parlement européen, considère que "le Green deal n’est pas viable financièrement" et appelle à "éviter de nouvelles réglementations climatiques dans la foulée de la crise du coronavirus", selon un document rendu public vendredi par Contexte.
Comment maintenir l’unité des Vingt-sept face à cette crise sans précédent, tout en trouvant une réponse commune adéquate au choc économique colossal à venir et un accord sur le futur budget européen qui, en plus de concilier des positions parfois contradictoires des États membres, soit à la hauteur des futurs défis ? Selon les choix politiques des leaders de l’Union, la transition climatique pourrait compliquer encore plus cette équation. Ou, au contraire, la résoudre.