Qui est Christian Drosten, le virologue pop star qui parle à l’oreille d’Angela Merkel ?
"En quel virologue avez-vous le plus confiance ?" demandait le tabloïd Bild à ses lecteurs, le 3 avril dernier. Les 60 000 participants au sondage n’ont pas hésité : Christian Drosten est le champion incontesté, le préféré du public.
- Publié le 30-04-2020 à 21h40
- Mis à jour le 30-04-2020 à 21h42
:focal(713.5x484:723.5x474)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WCKJN4763VFONBNE6PRPXB5YNA.jpg)
"En quel virologue avez-vous le plus confiance ?" demandait le tabloïd Bild à ses lecteurs, le 3 avril dernier. Les 60 000 participants au sondage n’ont pas hésité : Christian Drosten est le champion incontesté, le préféré du public. À 48 ans, le directeur du département de virologie de l’hôpital universitaire berlinois de la Charité a déjà une impressionnante carrière derrière lui, tout juste couronnée par un prix décerné par la Fondation allemande pour la recherche. Drosten a été distingué pour ses "réalisations exceptionnelles pour la science et la société face à une évolution dramatique de la pandémie".
C’est l’un des scientifiques les plus écoutés d’Allemagne. Par le gouvernement, mais aussi le grand public. Il intervient plusieurs fois par semaine dans une émission de radio très suivie, abordant tous types de sujets : le virus se transmet-il dans l’air ? Les enfants sont-ils aussi contagieux qu’on le dit ? Commencée le 26 février, l’émission en est à son 34e épisode, et toujours diffusée sur la radio publique locale de la région dont l’homme est originaire, la Norddeutscher Rundfunk.
Surexposé mais discret
Né en Basse-Saxe en 1972, Drosten s’est distingué à 31 ans en découvrant, avec un autre chercheur allemand, Stephan Günther, le Sras en 2003. Cette année, son équipe a mis au point dès la mi-janvier le premier test de diagnostic simple du Covid-19, et l’a rendu accessible à tous en le postant en ligne.
Au fil des jours on l’a vu partout, dans les talk-shows, les conférences de presse, aux côtés du ministre de la Santé, Jens Spahn. Il a l’oreille de la chancelière. On se souvient du flot de commentaires qu’a suscité la phrase, prononcée par Angela Merkel lors d’une conférence de presse le 11 mars : "60 à 70 % de la population allemande seront infectés par le coronavirus." Cette phrase a beaucoup inquiété, car on s’est empressé d’appliquer à ce chiffre un taux de létalité, en évoquant plus de 500 000 morts. Mais c’est de Drosten que la chancelière tirait ce chiffre. Il a toutefois vivement contesté l’extrapolation de 500 000 morts, qu’il juge absurde : "C’est un problème de faire des calculs aussi simples sans avoir aucune expertise. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’ils sont totalement erronés."
Surexposé mais discret, Christian Drosten a pris ses distances avec la presse. "Il y a des journaux qui dessinent maintenant des caricatures de scientifiques, pas avec des mots mais avec des images. Je me vois comme un personnage de bande dessinée et ça me met mal à l’aise", a-t-il expliqué. Il a reçu également des courriers hostiles. Il répète à l’envi que les scientifiques doivent rester à leur place, c’est-à-dire dans leurs labos. "Un scientifique n’est pas un politique, et la science n’a pas de mandat politique." Et pourtant, déplore-t-il, "l’image du scientifique qui prend les décisions continue à être produite dans les médias". C’est pourquoi, estime-t-il, "la science devra battre en retraite de manière ordonnée si cela ne s’arrête pas". Pendant ce temps, la presse allemande persiste à faire des virologues des pop stars…
Immunité de groupe
Les médias montent particulièrement en mayonnaise le conflit supposé entre Drosten et un autre chercheur médiatique, Hendrik Streeck. Le chef de l’Institut de virologie à l’université de Bonn est à la tête d’une étude menée à Gangelt, ville d’environ 12 000 habitants, près de Cologne. C’est le premier foyer de l’épidémie en Allemagne. Selon l’étude de Streeck, dont les résultats préliminaires ont été publiés le 9 avril, sur les 1 000 personnes testées pour l’étude, le taux d’infection était de 15 %. Ce qui donne, rapporté aux décès enregistrés à Gangelt, un taux de létalité à 0,37 %, cinq fois moins que les estimations de l’université Johns-Hopkins. Ainsi "à Gangelt, le pourcentage de la population qui a déjà développé une immunité contre le Sras-CoV-2 est d’environ 15 %. Cela signifie que 15 % de la population de Gangelt ne peut plus être infectée par le Sras-CoV-2, et le processus menant à une immunité de groupe est déjà engagé".
La crainte d’un rebond
Drosten, qui ne croit pas en l’immunité de groupe, a commenté ces résultats à sa manière, lapidaire : "Je ne peux rien en déduire. Il y a si peu d’explications qu’on n’est pas en mesure de tout comprendre." Il redoute surtout une deuxième vague d’infections, à la manière de ce qui s’est passé au début du XXe siècle avec la grippe espagnole et met en garde contre un déconfinement trop précipité. Là aussi, il a l’oreille de la chancelière, qui, lors d’un discours, jeudi dernier, au Bundestag, a de nouveau manifesté son inquiétude. Si elle soutient les mesures d’assouplissement, leur mise en place la "préoccupe" : "Ne gâchons pas ce que nous avons accompli jusqu’à présent et ne risquons pas un retour de bâton."
En Allemagne, le taux d’infection, passé à 0,7 lors du week-end de Pâques, est remonté à 0,9. Le nombre total de décès est de 6 374, le nombre de personnes infectées de plus de 160 000. En outre, le soutien de la population aux restrictions de confinement a légèrement baissé depuis le 20 mars, selon un sondage de l’Institut allemand pour la recherche économique. Il est passé de 87 % à 74 %.
Le dernier podcast où Drosten intervient a été diffusé mercredi après-midi. Son titre est sans équivoque, puisqu’il pose la question à ses milliers d’auditeurs : "Sommes-nous en train de perdre notre avantage ?"